samedi 16 décembre 2006

DANSER TOUTE SEULE: la Cueca sola




Photos du Documentaire:
http://www.nfb.ca/trouverunfilm/fichefilm.php?lg=fr&id=51217


Le Chili, encore.

TV5, la chaine francophone internationale qui reprend allégrement des programmes de France TV, la RTBF, RTV Canada, et même la télé Suisse-romande (affligeant, je sais...) est généralement considérée par les expatriés francophones en Amérique latine comme une espèce d'anomalie médiatique et de gêne nationale. La regarder est quasiment "honteux". L'apprécier vaut sanction immédiate. Bref, c'est vu comme de la merde, de la daube cathodique. Et donc peu regardé.

Pourtant, elle a parfois une programmation surprenante, qui vous tombe dessus, sans crier gare, et qui vous marque à jamais.

C'est arrivé un de ces matins ou on se lève très tard, et la Miss encore plus tard. On végète à moitié sur le canapé. On hésite: il y a un Arsenal-Chelsea en direct sur FOX Sports, depuis Bs Aires, il y a le brillant The Office sur "FX, lo que el Hombre ve", deux-trois nichons sur la Brésilienne GLOBO TV...ou un truc en espagnol sur TV5. Tiens.

Et là, on tombe sur cette scène saisissante, effroyable, de femmes qui dansent, seules comme la mort, avec des linceuls blancs. Tout à coup, on y est. Il se passe quelque chose. Le monde entier se met à valser. Et plus rien d'autre n'existe.

Ce documentaire, diffusé un matin sur TV5, à voir absolument, est un chef d'oeuvre. Il s'appelle La Cueca Sola.
La Cueca, c’est une des "danses nationales" du Chili (elle existe également au Paraguay je crois, et dans le Chaco Bolivien). Mais c’est aussi un chant de révolte et de combat, un hymne de contestation. Le film La Cueca Sola est le récit de cinq femmes chiliennes écorchées par ce régime, et qui, aujourd’hui, cherchent à reconstruire ce tissu social si déchiré, si pôlarisé.

La Cueca sola, c’est le symbole le plus abouti, l'oeuvre la plus forte et éclairante sur la lutte des femmes contre la dictature militaire, de ces milliers de veuves dont les maris furent détenus, torturés et qui ont disparu sous le régime d’Augusto Pinochet. Aujourd’hui, ces femmes poursuivent leur combat sur la scène politique comme au sein d’associations de solidarité, brisant le cercle de la solitude et du silence.

Après trente ans d’exil (au Canada, pays assez généreux envers les réfugiés et persécutés du monde entier), de retour dans son pays natal, Marilú Mallet filme ces femmes courageuses, remarquables de dignité, qui travaillent à libérer la parole et luttent contre l’oubli.

« À travers ce film, je veux sonder une réalité à laquelle j’ai échappé », avoue-t-elle. Pourquoi la Cueca Sola ? Parce que ces femmes ont été condamnées à danser la cueca seules, avec pour unique partenaire un tissu blanc rappelant leur époux disparu ou assassiné.

À son retour au Chili, Marilú Mallet revoit les personnages qui ont marqué son enfance et ne peut s’empêcher de se questionner sur la façon dont ces femmes ont survécu à ce bouleversement politique. Leur douleur est immense, mais l’espoir qu’elles portent en elles encore plus grand. Elles ont réussi à vaincre leur peur, cultivée par dix-sept ans de terrorisme d’État, et à s’activer pour dénoncer les injustices qu’elles ont vécues et empêcher que de telles horreurs ne se reproduisent. Ici. Ou ailleurs. L’arrestation de Err Guanaco Pinochet à Londres en 1998 leur a permis de retrouver la force de s’exprimer, de lutter pour la démocratie et le respect des droits de la personne, chacune à sa façon.

Moyenei Valdés, qui a perdu son père à l’âge de douze ans, exprime par la chanson son désir de contestation. Carolina Tohá, elle, s’est lancée dans la politique; elle est aujourd’hui députée du Parti pour la Démocratie. Il y a aussi Isabel Allende, amie d’enfance de Marilú Mallet et fille de l’ancien président socialiste Salvador Allende, qui a préféré se tuer plutôt que de se rendre aux putschistes, le 11 septembre 1973; Estela Ortiz, camarade d’école, qui a perdu son père, disparu, et son mari, décapité; Monique Hermosilla, professeure retraitée qui a connu la torture dans les camps de prisonniers.

Ce qui rassemble toutes ces femmes, ce trait singulier qui m'a foutu un frisson des plus inoubliables, c'est qu'elles n’agissent pas en tant que victimes.
Elles le sont pourtant, en droit, en terme de jus cogens. Elles le sont pourtant, selon un principe évident d'humanité qu'on retrouve sous toutes les civilisations.
Mais elles ne sont pas que celà. Elles sont dans l'action. Elles y vont.
« Ce sont des femmes engagées et solidaires qui se sont transformées en acteurs importants du retour de la démocratie au Chili actuel », explique la réalisatrice.
D'incroyables résilientes, dirait "Tirelipinpon" Carlos (ou sa mère F.Dolto, je n'sais pus).

Il faut bien comprendre que ce pays, comme beaucoup d'autre mais peut-être plus que beaucoup d'autres, crève de déni. De dénégation sur les réalités de ce régime.
La grande histoire. La petite.

Un jour, j'ai eu la chance de sympathiser avec le frère d'une jeune étudiante de Santiago (inscrite notamment en "letras francesas"...) qu'on avait enlevé, violé, torturé, sur une de ces îles secrètes ou la torture était d'une telle sophistication macabre. Je suis désolé de vous imposer cette image, mais elle me semble importante: immobilisée, les jambes écartées, on lui a introduit un rat affamé dans le vagin. Ce sont des pratiques de torture tout à fait avérées, documentées et connues.
Comprenez-donc la rage à la mort du tyran.
Comprenez-donc la rage à écouter le petit-fils, merdaillon hijoeputa ese, en uniforme militaire, qui justifie avec arrogance toute l'ooeuvre de son papy chéri et de ses sbyres.
Comprenez-donc ce que signifie un régime militaire, au-delà des chiffres des morts, des disparus, des torturés. Comprenez-donc les traumatismes collectifs que cela représente.

Cherchez-le. La Cueca sola. A voir absolument.

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