CONTRASTES
Chapitre I
Elle s'appelle Juana, elle a 13 ans.
Elle ne parle pas complètement l'espagnol, mais le comprend bien.
Elle vit dans une communauté Quechua particulièrement isolée de Bolivie, accessible par 4x4 en 11 heures de piste chaotique depuis la principale ville de la région, Cochabamba. 11 heures, 4 étages écologiques distincts, des précipices infinis, des anciennes haciendas dont les parcelles récupérées au long de l'histoire (surtout depuis la réforme agraire de 1952) révèlent une rude économie de subsistance...
Cette communauté, pour aussi isolée et inaccessible qu'elle soit, est pourtant un espace à la fois clôt (rites d'introduction, rites internes de passage-d'un âge à l'autre, d'un statut à l'autre, méfiance inititiale envers l'intrus, pratiques traditionnelles -justice, culture- séparées de la vie "républicaine") et ouvert (multi-ethnicité pacifique entre métis, quechuas majoritaires et aymaras, sens indescriptible de l'hopitalité, adaptation pragmatique à la réalité "moderne-urbaine" lors des migrations temporaires, curiosité envers l'autre, une fois la confiance installée-même fragile).
Ce jour était un jour de fête et de célébration. J'y fus invité, en compagnie des 2 sympathiques barbus franchutes, compagnons de route de ces jours-ci. Nous avons pu apprécier les chorégraphies des mamans de la communauté, que l'on voit s'affairer derrière Juana. Les danses, les chants, les discours à la Patria grande et les hommages à la Pachamama. Les rituels catholiques et les quechuas.
Soit le synchrétisme, brut, dans ta face.
Son lama-llamita, à Juana, né récemment, elle en prend bien ,soin car la portée antérieure n'a pas survécu au-dela de quelques jours.
regardez-le. Il est terrorisé par ce stupide white man qui le fixe de son oeil digitalisé.
Elle rit aux éclats.
La communauté a fini la soirée bien bourrée. Bien soudée, aussi.
Chapitre II.
Vous n'êtes pas obligés de me croire. Mais en bleu, "brassard blanc", là (et avec son aimable autorisation), c'est Juana, qui nous vient de la région métropolitaine de Caracas, Venezuela.
Cette plage était autrefois réservée aux seuls membres de l'entreprise du pétrole PDVSA. Elle est aujourd'hui ouverte à tous. Un vrai cliché qui reprend le slogan gouvernemental, "Venezuela, ahora es de todos" ("désormais elle est à tout le monde"). Derrière le conte bonito, il y a aussi la verticalité et les pressions.
Juana et sa soeur sont venus en bus, mis à la disposition du Gouvernement Régional de Miranda. En contrepartie, m'expliqua ce jour Juana, 32 ans, elles doivent assurer toute une série de tâches pour les organisations officielles du pouvoir chaviste local, et pour certains bras civil des cercles bolivariens et du front Francisco de Miranda. Appliquer les consignes. Et suivre La Ligne.Elle avoue, entre deux verres de Cuba libre, que parfois, elle aimerait être libre, justement, de ne pas assister à certains ateliers sur l'histoire de la révolution cubaine ou sur Bolivar qui sont longs et rébarbatifs.
Juana a trois enfants et n'a pas de mari. Il a foutu le camp, mais elle ne semble pas le regretter.Elle a sa soeur, ses enfants et deux amies.
COMMENTAIRE: deux réalités incomparables. Mais... Juana la venezuelienne n'est pas isolée par une géographie complexe, elle est libre de ces mouvements, mais elle subit des contraintes politiques "monnayées" par des avantages sociaux (nourriture, inscription prioritaire sur les listes des Missions). Juana, de Miranda, parle des leaders bolivariens de son quartier comme des opportunistes qui font tout pour éviter les débats. Imposer une ligne leur permet de garder leur espace de pouvoir, me dit-elle. Sa vie n'est pas facile, son rire est profond. Juana la quechua est isolée, mais peut compter sur sa communauté, maintenant et à l'âge adulte. Le pouvoir là haut est en rotation: chaque année, les dirigeants principaux de la communauté sont changés, par vote collectif, après présentations des bilans, débats et délibérations. Elle aura bientôt 14 ans. Sa vie est rude, son rire est profond.
CONTRASTES
Patxi