mardi 13 janvier 2009

Suleiman

Ce matin, j'ai tenu dans mes bras, en pleurs,
un vieux monsieur, tassé, rabougri.

Ce matin, à bout de force,
futile et frêle épaule, longuement, j'ai tenu,
comme j'ai pu, cet homme qui voulait en finir.

Ce matin son chagrin pesait le poids de l'inhumanité toute entière.
Ce vieux monsieur, tassé, rabougri, digne.

Infinita tristeza.

Suleiman.
Mr Suleiman. Né à Gaza. A fui. Comme il a pu.
A laissé. Derrière lui.
Comme il a pu.
La famille.
La guerre.
L'innommable.
Il y a longtemps.
Tout laissé.

Même, le noyau dur, la cellule de SA famille, sa femme, ses trois enfants.
En Jordanie. Apatrides.
Sans papiers, sans droits.
Piégé. Toujours à moitié clandestin.
Lui qui a étudié dans les camps de l'ONU-UNRWA et est devenu un brillant ingénieur.
Sans emploi.
Sans papier.
Sans droits.
Depuis les accords d'Oslo. Paradoxalement. Chassé.
En finir.
Aujourd'hui.
Suleiman.
Clame qu'il "veut" ou "va" s'immoler. Ou quelque chose dans le style.
Hurle qu'au fonds, c'est bien le monde entier, silencieux, qui les pousse à cette folie de l'attaque suicide. Face à Tsahal.
Ce matin.


Au 4 ème jour.
de cette offensive.
Parmi les désormais 950.
4. Décomptés, recomptés, retranchés, en zone urbaine.
Suleiman.
4 morts. La même famille.
Suleiman. Sa famille. Dont deux frères.

Mon beau, mon vieil ami.
Il en a 54; en parait 80.

Il y avait eu, un de ces matins d'humeur post WWII, lucide et apocalyptique, à la fois, ces mots, d'Adorno: "il ne peut plus y avoir de poésie après Auschwitz".

Je sais désormais il ne peut y avoir de "blog" pendant Gaza.
C'est juste pas possible. Ces jours ci.

Trop de rage devant les forfaits de l'Etat d'Israël.
Armes à fragmentation au Liban. Au Phosphorito cette fois.
Israël n'a plus de respect que pour Israël.
La "démocratie ethnique" (le mot est de E.Todd) et son traitement de la "Question" Palestinienne" est proprement inouï.

Les sorties de crise durables existent, sans même parler de l'Initiative de Genève.
Il manque juste des hommes politiques visionnaires et courageux.

Ce matin, j'ai tenu dans mes bras, en pleurs,
un vieux monsieur, tassé, rabougri.

Il est resté, sur mon palier.
Ne voulait pas rentrer.
Je redoutais, depuis quelques jours, la petite tragédie, dans la grande.

Comment veux-tu que je te cause d'autre chose aujourd'hui?

Il fallait voir, dans ces yeux gris, l'indicible calvaire, l'indicible injustice, la sienne, la nôtre, lui qui a subi les tirs sur les civils, les check point, la faim, le blocus, l'occupation, les "accrochages", les bombardements de lieux publics et d'habitations familiales, toute sa vie, ses tragédies, sa trajectoire, à lui, que je connais par cœur; l'indicible tragédie, l'inénarrable douleur des millions et millions de Suleiman, de familles palestiennes civiles sans avenir, sans Etat, sans droits, entassées de force, condamnées en territoire occupé, baffouées, trompées par un Fatah corrompu et des islamistes radicaux incontrôlables, par les pays "Frères arabes",
humiliées, ignorées, dans le monde officiel arabe, dans les camps de Syrie, d'Egypte, de Jordanie.

Ce matin, j'ai tenu dans mes bras, en pleurs,
un vieux monsieur, tassé, rabougri.

Il évoqua, entre ses sanglots, Yasser, shalom alekhem, Herzl, salam aleikoum.

L'ordre en Palestine?
Camus, 1944, depuis le fracas du monde, de la part de Suleiman:

" On parle beaucoup d'ordre en ce moment (...)
Le résultat, c'est qu'on ne peut invoquer la nécessité de l'ordre pour imposer ses volontés. Car on prend ainsi le problème à l'envers. Il ne faut pas seulement exiger l'ordre pour bien gouverner, il faut bien gouverner pour réaliser le seul ordre qui ait du sens.
Ce n'est pas l'ordre qui renforce la justice, c'est la justice qui donne sa certitude à l'ordre.
(...)
Nous croyons ainsi qu'il est un ordre dont nous ne voulons pas parce qu'il consacrerait notre démission et la fin de l'espoir humain.
C'est pourquoi, si profondément décidés que nous soyons à aider la fondation d'un ordre enfin juste, il faut savoir aussi que nous sommes déterminés à rejeter pour toujours la célèbre phrase d'un faux grand homme et à déclarer que nous préférerons éternellement le désordre à l'injustice."
Extrait d'un article d'Albert CAMUS, paru dans "Combat" le 12 octobre 1944

Justicia, pour tous les Suleiman de Palestine, du Moyen Orient, d'Europe et d'Amérique latine.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Cher Patxi, je tiens à te faire partager, si tu ne le connais pas, ce site: http://fabrice-nicolino.com/index.php/

C'est un type qui écrit bien, comme toi, qui en sait sur le sujet, qui n'a pas sa langue dans sa poche, ne pratique pas, jamais, la langue de bois, mais sait conserver un humour tendre, un regard simple sur les choses qui l'entourent, comme toi. C'est un peu ton alter-ego, version écolo, c'est en tout cas du tout grand blog, comme le tien.

Patxi a dit…

Gaza: un fonctionnaire de l'ONU évoque des "crimes de guerre systématiques"
22.01.09 | 20h27

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Les opérations militaires israéliennes dans la bande de Gaza ont eu un "caractère sans aucun doute inhumain" qui évoque "le spectre de crimes de guerre systématiques", a affirmé jeudi le rapporteur spécial de l'ONU pour les territoires palestiniens, Richard Falk.

"Des cibles illégales ont été sélectionnées", a estimé M. Falk, en parlant d'"intention criminelle".

"Il n'y a aucun doute sur le caractère inhumain d'une opération militaire à grande échelle du type de celle qu'Israël a engagé le 27 décembre contre une population essentiellement sans défense", a déclaré le rapporteur de l'ONU depuis la Californie lors d'une conférence téléphonique avec des journalistes à Genève.

L'armée et le gouvernement israéliens ont déclaré à de nombreuses reprises qu'ils ne visaient jamais délibérément des civils pendant leurs opérations dans la bande de Gaza. Ces opérations ont été lancées pour mettre fin aux tirs de roquettes et de missiles du mouvement islamiste Hamas et d'autres organisations palestiniennes sur des villes du sud d'Israël.

Selon le fonctionnaire de l'ONU, l'opération militaire israélienne, menée contre un territoire densément peuplé, avec une population affaiblie par les privations de 18 mois de blocus et "prise au piège" dans la zone de guerre, "évoque le spectre de crimes de guerre systématiques".

M. Falk a dénoncé le confinement "dans la zone de guerre active" de la population, empêchée de s'enfuir et d'accéder ainsi à la protection du statut de réfugié. "C'est sans précédent", a-t-il assuré. "Aucun enfant, aucune femme, aucun malade ou handicapé de la population de Gaza n'a été autorisé à quitter la zone de guerre", s'est-il indigné.

La frontière entre Israël et la bande de Gaza a été fermée pendant le conflit. L'Egypte a également maintenue fermée sa frontière avec la bande de Gaza.

"Les preuves de violations des règles fondamentales du droit international humanitaire sont si accablantes qu'elles doivent faire l'objet d'une enquête internationale indépendante", a jugé le juriste américain.

Les violations du droit international commises par le Hamas en lançant des roquettes sur Israël ne sont pas comparables, a estimé le rapporteur de l'ONU, bête noire du gouvernement israélien.

M. Falk a été refoulé le 14 décembre par les autorités à son entrée en Israël, d'où il devait se rendre dans les territoires palestiniens. Auparavant, il avait déjà déclaré que la politique d'Israël à l'encontre des populations des territoires s'assimilait à "un crime contre l'humanité".

Ce refoulement "sans précédent" de M. Falk, retenu durant plus de 20 heures à l'aéroport Ben Gourion de Tel Aviv, avait été dénoncé par la Haut commissaire de l'ONU pour les droits de l'homme Navi Pillay.