samedi 24 janvier 2009

De l'utilité du rite en politique (chez Hugo comme chez Emiliano)






Toute société a des rites.
Toute société politique a des rites politiques.

C’est tout pour aujourd’hui ?
Oui, merci.
(…)

L’histoire de toutes les sociétés révèle que «les rites sont des dispositifs qui servent à neutraliser l’hétérogénéité, à reproduire autoritairement l’ordre et les différences sociales» (J.Rivière).

Relis.

Relis encore.
Ta' bueno no?

Et le rite se distingue des autres pratiques car il ne se discute pas, il ne peut être changé ou s’accomplir à moitié. Il s’accomplit, et ainsi l’on ratifie son appartenance à un ordre. Si on le transgresse on en est exclu, hors de la communauté, et de la « communion » que cela suppose.

Chaque année, le Venezuela de Chavez, depuis maintenant 10 ans, a recours à la « ritologie »: Alo Presidente ; Cadenas - messages de plusieurs heures qui s’imposent sur toutes les fréquences de radio et télévision ; concerts, meetings ; fausses polémiques nationales et internationales créées pour détourner l’attention ; et surtout, une campagne électorale nationale, massive, omniprésente, chaque année.

Ces rites bolivariens sont à mon avis tout à fait comparables à ceux autrefois organisés par le Parti Révolutionnaire Institutionnel (audacieuse terminologie…) du Mexique.
Ces rites ont contribué au renforcement de l’autorité tant symbolique que réelle du PRI sur ces 71 années de pouvoir, en favorisant notamment l’absence de contestation symbolique. La liturgie politique permanente menée par le PRI a ainsi contribué à sa longévité.
Une des différences évidentes, c’est le personnalisme autour de la figure du seul Chavez, et non autour d’un parti, dans un système présidentiel mexicain qui refuse toute réélection. Changer la tête pour ne rien changer au système…tandis que Chavez propose l’inverse ces temps-ci pour un référendum de plus : ne pas changer la tête, pour pouvoir changer le système (du moins est-ce l’aspiration de son mouvement).

La recherche laïque sur les rituels, du point de vue de leur simple fonction sociale, entreprise par Pierre Bourdieu, observe la « séparation » que crée le rituel. Les rites classiques, comme passer de l’enfance à l’âge adulte; mais aussi être invité pour la première fois à une cérémonie politique, à une fête civique, un meeting du candidat ou du leader, ou entrer dans un Museo Nacional ou une école et comprendre ce que l’on y expose sont, plus que des rites d’initiation, des « rites de légitimation » et d’ « institution ». Ils instituent une différence durable entre ceux qui participent et ceux qui restent en dehors.

Toute acte d’institution est un « délire bien fondé », disait Durkheim ; « un acte de magie sociale », conclut Bourdieu. Pour lui, la consigne qui sous-tend la « magie performative » du rituel est : « deviens ce que tu es ».

Au Mexique, le discours patriotique d’adhésion au projet national, sous forme d’injonctions permanentes (et que vivent encore un peu les petites filles de la toujours intéressante bloggeuse expatriée, E., à l’école d’Aguascalientes) pouvait se résumer ainsi : Toi qui as reçu la culture patriotique, la mexicanidad- la méxicanité, comme un don et qui la porte comme quelque chose de naturel, incorporé à ton être, comportes-toi comme tu l’es déjà, comme un Héritier. Profites des musées, de tes cours, de l’ordre social, le futur te sera donné. La seule chose que tu ne peux pas faire, dans un régime autoritaire, paternaliste et semi-corporatiste dans une moindre mesure encore, c’est abandonner tes devoirs, et vouloir prendre dans une certaine mesure ton destin en main.

Le pire adversaire qui soit n’est pas celui qui ne va pas aux rites ou aux meetings organisées par le régime (et ou ne pas aller peut valoir sanction pour le fonctionnaire), mais celui qui trahit l’héritage. Celui qui questionne si la démocratisation est réelle, ou si elle n’est qu’un pur habillage rhétorique. Celui qui questionne, par exemple, si les personnages illustres célébrés lors des fêtes patriotiques l’ont réellement été, si ces événements historiques se sont réellement déroulés.

Au Mexique, il faut resituer la place publique, le zocalo, l’école ou le musée dans cette logique de « théâtralisation du pouvoir », qui favorise les ritualisations culturelles. Pour que les traditions servent aujourd’hui de légitimation à ceux qui se les sont appropriés, il résulte indispensable de les mettre en scène. Le patrimoine existe comme force politique dans la mesure où il est théâtralisé par ces commémorations, ces monuments, ces musées.

Il faut bien voir qu’au Mexique, comme dans l’ensemble du continent latino-américain, l’analphabétisme commença à être un phénomène assez minoritaire il y a très peu de temps. Aussi n’est-il pas surprenant que la culture et par là même la mémoire historique, qu’elle mette en valeur la Révolution ou « L’Eternelle aspiration du PRI à la démocratie » ait été transmis visuellement. Sur les murs. Dans les rues.

Au Venezuela, la qualité artistique en moins, on peut avoir l’impression d’être aux prémisses d’un tel processus, également à l’œuvre sous la IIIème République française à certains égards (notamment, construire une Nation à partir de peuples ou visions du monde hétérogènes).

Car être un citoyen cultivé, ser culto, dans ce contexte, c’est d’abord appréhender un ensemble de connaissances, en grande partie iconographiques, sur cette propre histoire, et participer dans les mises en scènes où les groupes hégémoniques font que la société se donne à elle-même le spectacle de son origine, de ses fondements historiques.

Les hâtifs, trop pressés et les cuistres, trop enclins à tout balayer d'un revers de main, goguenards, ne voient que manipulation et réécriture de l'Histoire officielle; propagande et mensonges dans ces rites...

L’hypothèse a 1000 pesos : beaucoup, peut-être toutes, les Nations, ont besoin de ces doses de fictions pour commencer à exister et à se forger, à se construire comme identité stabilisée.

L’Amérique latine commence à s’émanciper véritablement et à « faire Nation » depuis le milieu des années 1990 à peine. Tous les leaders actuels y contribuent, Chavez encore plus clairement que d’autres. Qui sommes-nous pour y voir quelque chose de mauvais, de ridicule, de nocif, de négatif ?

Jules Ferry a bien alphabétisé la France entière…tout en conquérant au fer et au sang l’Algérie toute entière, dans le même temps ! Le pire et le meilleur, dans un même élan…
Les leaders des gauches actuelles, malgré leurs erreurs et dérapages autoritaires parfois, sont en train d’écrire de belles et importantes pages d’Histoire pour leur continent.

J’ai ainsi appris à apprécier la valeur de ces rites. A bouffer de leurs musées, de leurs écoles, de leurs meetings (j’ai même une collection fétichiste de tee-shirts de partis de gauche du continent).

Toute société a des rites.
Toute société politique a des rites politiques.

5 commentaires:

Nathalie Vuillemin a dit…

Remarquable article, Patxi. Merci pour cette belle analyse!

Admin a dit…

Superbe réflexion, Patxi. De la belle sociologie politique.

Peite question troublante : ces T-shirts que tu collectionnes, tu les portes de temps en temps? ;-)

Anonyme a dit…

Tu deviens bien serieux patxicito!!
m'enfin avec la tempête qui vient de nous tomber sur la gueule on se dit qu'on est bien peu de choses ma bonne dame ! sur n'importe quel endroit de la planète
Tienes razon y te felicito por este analisis brilliante! Mi latina preferida y yo nos pasamos desde mas de veinte anos (mais non pas anus, mais j'ai pas trouvé le tilde!!) entre los dos continente y es obvio que no hay leccion que valga.Tengo tambien tu optimismo sobre la evolucion actual alla, una madurez, y un nivel de capacitacion creciente. On ne peut pas comprendre les choses en restant à l'échelle d'une vie ,ça se passe sur des générations et pourtant ils vont vachement vite. Ca traine dix ans et tout d'un coup ça s'accélère qu'on s'y retrouve plus!
Et il faut des symboles des rites des fêtes des larmes et des utopies pour souder tout ça et c'est pas seulement vachement plus sympa que la world company (qu'a drolement mal aux couilles en ce moment) c'est surtout plus vivant. Ne soyons pas trop naîf ca va encore flinguer un bout de temps.
Bon fiston à plus

Fanny Dumond a dit…

article très intéressant !

ah ah, je reconnais la peinture qui est dans un bâtiment qui jouxte le zocalo de Mexico DF, j'ai perdu le nom du bâtiment là tout de suite. C'est bien des peintures murales d Diego Rivera, non ? avec une peinture tout autour de cet escalier. Je me disais bien aussi que tu avais un côté chilango, hablando de chingaderas guey !

Je vivais à Mexico en 2000, et au moment de la victoire de Vicente Fox sur le PRI représenté par Batista, les hélicoptères de l'armée ont volé au dessus de la ville toute la nuit, je pense qu'ils devaient redouter des émeutes, c'était un évènement jamais vu, la fin de ce parti en place depuis 70 ans, un triste record comme en Chine.

Je me souviens de la campagne du PRI, qui avait à proprement parler envahi Mexico FD d'affiches de propagande...

ps : 3ème paragraphe, je crois que tu voulais dire "les rites vénézueliens" au lieu de "bolivariens" non ?

Patxi a dit…

Quelle chance d'avoi des lecteurs toujours aussi stimulants carrajo..
Alors, Nathalie, merci. venant de notre Profe à tous, c'est toujours prenable. je prends donc.
JLC: j'en porte de temps en temps, oui. mais jamais la ou il faut exprès. J'ai porté un t shirt du PRD mexicain en Colombie, une fois, et merde, c'était la même couleur que le Parti POLO, gauche qui était pas bienvenue là ou je le portais. sinon il me manque pas mal de pays encore..j'ai par contre tous les maillots de foot casi du continent, notamment les "pays de merde", paises de mierda ou paises huevones..oui pui, c est comme ça que leurs voisins les appellent. genre le Guyana ou le Salvador.mais j ai le honduras ou trinidad et tobago par contre.

JYF: toi t'es un bon toi. je suis au bord de rebaptiser ce blog
""c'est surtout plus vivant.""
tout est là. putain je vais le mettre qq part en sous titre, no joda. c es ça en fait, pour résumer...
encantado y honrado de tenerte (tenerles?) como lectores. no duden en dejar sus comentarios!

fanny, oui c'est bien ça, Rivera Diego au Zocalo..
nous nous sommes peut être croisés.
peut être même ai je glissé en to...en train de crier " "La bas tid da, la vestida", te suena???ou Viva Cuahtemoc!
je voulais dire Venezuelien autrement, donc j'ai dit bolivarien au sens chaviste du terme.
mrci de tes encouragements et de mettre ta photo dans cette sombre taverne qui a besoin de luminosité..
Patxi-txi