mardi 26 février 2008
La Mama de l'expat
La mama de l'expat, ta maman, quand tu lui as dit le nom de la ville et du pays ou tu partais t'installer, elle était pas bien sûre qu'si c'était en Afrique ou en Amérique latine. Mais elle a trouvé bien joli, le nom, en tout cas.
C'est vrai. Tepoztlan, Sopocachi, ou Tacuba, c'est bien joli, comme nom.
Ta mama, pour le premier départ, elle t'a embrassé, elle t'a regardé bien droit, et t'as dit, le regard humide, "bonne chance" mon fils, ma fille. Mais dans le fonds elle en menait pas large, se demandant si tu allais partir pour un an, une décennie, une vie, alors que tout de même Madrid c'est moins loin et y parlent pareil là bas. Mais bon, c'est pas pareil non plus, elle comprend, vas...
La mama de l'expat, ta maman, ça lui a fait drôle la première fois, le premier départ loin, au large. Mais peu à peu, au fil des conversations téléphoniques, elle a compris que tu rentrerais pt'être pas de sitôt, que c'était vécu comme un beau choix de vie, que tu serais pas là pour la communion du petit cousin ni pour la naissance de la nièce. Elle a ravalé sa tristesse momentanée pour te dire bonne nuit, enfin bonne journée, à cause du décalage qu'on sait jamais.
La mama de l'expat, ta maman, elle est contente de te savoir heureux.
Même si elle aimerait bien te voir pour ces quelques repas et rituels de famille ou ta chaise est vide et ton absence, palpable.
La mama de l'expat, ta mama, elle est heureuse de recevoir tes coups de fil.
Même si elle ne sait toujours pas se servir d'internet, qu'elle n'a d'ailleurs pas, n'ayant même pas un ordinateur, pour commencer.
Elle insiste sur ce charme désuet, ce plaisir de recevoir des cartes postales écrites en colimaçon; mais tu lui as sibien décrit le Servicio Postal du coin qu'elle a vite pigé que c'est pas marqué La Poste quoi ici/là bas, chez les metequos...Alors, oui, le téléphone, et la carte pré-payée LATINA sont là qui rapprochent les êtres.
La mama de l'expat comprend pas forcément toutes ces analyses proto-politiques que tu t'obstines à lui servir, entre deux nouvelles du front et de ta femme, du boulot et des amis expats que tu décris, abstraits, invisibles et pourtat bien là,
mais pourquoi ils ont tué ces pov gens, mais t'es sûr que c'est pas dangereux ces avions, t'es sûr qu'ils te feront rien là bas dis,
ta mama comprend pas forcément toutes tes explications, mais peu lui importe, elle est là qui te sent et qui te palpite.
A l'unisson, malgré le tréfonds métallique de SKYPE.
En bonne entente, malgré cet océan atlantique qui vous sépare.
Elle te sait si loin, si proche, ta mère.
La mama de l'expat, ta maman, elle vieillit mais tu es trop loin pour t'en rendre compte. Tu ne le comprends qu'à l'aéroport, en la regardant et redécouvrant les stries de l'existence sur son visage, elle et ses beaux yeux mouillés, une fois les abrazos qui vous retrouvent.
La mama de l'expat, ta maman, tu es tout content quand elle vient en visite, dans ton univers, là bas. Elle qui a découvert l'avion sur le tard, pour ses 55 ans, elle qui a découvert l'Amérique, du Sud, des voyages, des gens qui luttent et construisent ensemble leur identité, les grands espaces, l'amérique en découverte, après une vie de labeur exténuante qui ne l'a, non, vraiment, non, vraiment pas épargné, ta maman.
Alors ty'es bien content de lui concocter un beau programme de dingue, entre rencontres insolites, personnages lunaires, plaines fertiles de pampas, hauts sommets enneigés, ballades en pirogue amazonienne, trekking titicacesque, animaux incongrus, plages azur parfaitement scandaleuses.
La mama de l'expat, ta mama, elle sort alors son petit appareil photo à molette monochrome, elle garde ses gants pasque fait pas chaud hein, malgré son K-WAY rouge qui protège, et son imper orange dessous, et la capuche, au cas où, et elle prend sa photo, de son moment à elle, ou elle immortalise une rencontre, un lieu bien à elle, un souffle qui l'inspire.
Laissez-moi vous le dire tout net: ta mama, je sais pas, mais ma mama, ma mère, sous ses apparences de prolétaire d'une autre époque, un peu dans la lune, elle a la classe mondiale.
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19 commentaires:
ouha ! tu me files des frissons
Patxi, ma mama, elle n'est plus là, mais tu l'as décrite!
il faut que ma môman lise ce post! excellent, comme d'habitude....
Un texte magique... sans doute le plus beau que j'ai lu sur un blog...
... soupirs ...
Soupirs...
Ma mama à moi est repartie il y a 7jrs, après avoir rencontrée les plaines du Venezuela et ses anacondas, les îlots des Caraîbes et ses tortues de mer, les Andes et ses jolis villages ... à 50 ans, sortir de France pour les vacances, c'était inédit. Incroyable dépaysement pour elle, grande émotion pour moi...Enfin, elle sait où je vis et pourquoi j'aime tant ce pays... Reviens vite mama !
Merci mon patxi,
C'est la plus belle dedicace pour toutes nos mamas.
Comment tu connais ma maman ?
Je crois qu'on ne peut que te remercier... au nom de toutes les mamans d'émigrés (ha non expatriés pardon, on est des gens bien nous)
Zetes que des pleureuses et des fayots.
Patxi
Très beau
Très émouvant...
Une maman
Un fayot de plus...
C'est dur des fois, de faire le choix.
Moi, pour mes XX années "dehors", j'en étais dispensé, devenu orphelin avant.
_____________
Tu m'as mis les larmes aux yeux. Pour ta peine, tu auras un "filblog"
Eh ben mon couillon... j-allais me couhcer pis tu m-as tenu eveille une demi heure de plus !!
roh, pis j-vais pas aller dormir de si tot, je suis pris d-une envie d-ecrire a la mienne la...
Nos VEMOS !
Patxi, realmente no pude terminar de leerlo; esta muy bello, que lindo la pasion con la que te expresas, Saludos
Loin de moi toute idée de casser l'ambiance poétique de cette série de commentaires et du joli texte ci-dessus publié, mais la mienne, de Mama, elle a eu la malencontreuse idée de me suivre au bout du monde, dans une petite île des Caraïbes que certains identifieront sans peine.
Eh ben vous savez quoi... Elle s'en mord les doigts jusqu'aux omoplates!
waow, tu m'a donné envie de pleurer, parce que mi mama, les abrazos al aeropuerto ect pour mon départ à Buenos Aires c'est pour dans moins de 2 mois, et ça va pas être fastoche... Magnifique ce post !
Très beau texte.
Je vais l'envoyer à la principale intéressée. peut ètre y trouvera-t-elle un léger réconfort.
Hola Patxi, Bueno, esa famosa escena la del adios, la que nos queda indeleble en los ojos, en el alma, yo la vivi en una estacion de tren. partir de ese momento comencé a escribir poesias.
Tus textos son amigos que golpean las puertas del corazon! Un abrazo y te invito a pasar por mi blog!
Je viens de te relire. C'est ce que tu as écrit de plus beau, mon vieux.
On a pourtant du mal à croire qu'il y a un cœur qui bat dans cette chose cynique, mais cela en est la preuve irréfutable.
Merci patxi, je suis une des mamas. J ai cherche un peu de reconfort sur le net et a part ton site je n ai rien trouve. Mais ton texte magnifique m a tres largement consolee de cette disette sur le sujet. Grace a toi, une mama un peu moins triste ce soir, mais vraiment bouleversee par autant de poesie et d amour
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