lundi 21 janvier 2008

Elle traverse Bogota


Bogota







Patagonie Express, carnets de voyage de Paul Theroux, un grand bourgeois East Coast de passage à Bogota, en 1978

"Il ya 220 peuples indiens en Colombie. Certains montent jusqu’à Bogota en recherche de travail, ou sont déplacés par le conflit armé. Une indienne, en châle noir, jupe longue et sandales, tirait deux ânes au bout d’une corde. Les ânes étaient lourdement chargés de récipients métalliques et de ballots de chiffon. Mais ce n’était pas là le trait le plus curieux de cette femme de Bogota avec ses deux ânes.
La circulation étant très mauvaise, ils allaient tous les trois sur le trottoir, dépassant les élégantes et les mendiants, les galeries d’art exposant des tableaux tocards.
L’Amérique du sud doit venir en tête de la production mondiale de l’art abstrait de 3ème ordre du fait sans aucun doute, de la vulgarité de sa classe aisée et du succès des décorateurs, avec des vernissages tous les jours quasi…

L'indienne n’eut pas un regard pour les peintures, mais continua son chemin, passa devant la banque de Bogota, la Plaza, une statue de Bolivar de nouveau, l’épée plantée à ses pieds, les boutiques de curiosité avec leurs articles en cuir et bric à brac, les émeraudes. Elle traversa la rue, les ânes peinaient sous leur charge, les voitures klaxonnaient, les chauffeurs donnaient des coups de volant, et les gens s’écartaient. Ca aurait pu faire un documentaire merveilleux, la pauvre femme et ses boites dans une ville austère de 4 millions d’habitants.

Elle est un vivant reproche à tout ce qui l’entoure, mais peu de gens la voient, et nul ne se retourne. Si on en faisait un film, il serait primé. Le scénario ne serait autre que cela, elle traverse Bogota. On dirait que 500 ans ne se sont pas écoulés. La femme ne marche pas dans une ville. Elle marche à flanc de montagne, avec des bêtes aux pieds surs. Elle est dans les Andes, elle est chez elle. Tout le monde, à part elle, est en Espagne."

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Patxi, le dernier paragraphe est criant de vérité. Partout où envahisseurs et envahis partagent un lieu pour ne pas tomber dans la coexistence puisqu'elle n'existe pas du tout, l'envahisseur voit ailleurs alors que l'envahi tient mordicus à la richesse invisible à l'oeil nu.