lundi 1 octobre 2007
Les innénarrables "touristes initiatiques", ces hippies de contrefaçon
Ca fait un petit moment déjà que j’ai pas (courageusement) tapé sur les djeunss en pleine déroute existentielle ; ceux qui, par l’entremise magique d’un petit séjour de régénérescence salvatrice dans la fange du tiers monde, repartent la fleur au fusil, l'oeil brillant, rassurés et conquérants, prompts à reprendre leur poste et position stratégique dans l’implacable guerre économique qui fait rage, en France, en Navarre et même, tout près de chez toi.
Vous voici donc rassasiés. C'est du long, non formaté blog, évidemment.
Cette mode des « voyages initiatiques », tout de même…
Inénarrables touristes qui se prennent pour des voyageurs de l’extrême en quête métaphysique ; inénarrables touristes qui s’imaginent forcément singuliers, forcément « différents » du touriste de masse, qu’ils méprisent absolument, au fonds, dans tout ce qu’il est, dédain affiché pour le quidam qui bosse laborieusement pour s'offrir ses deux semaines de congés payés en camping comme pour l’employé de bureau qui « fait » le Mexique avec Leclerc Voyages.
Ces touristes là, qui fuient le beauf comme le scorbut, ces aventuriers « Canada Dry » qui croient fuir les parcours fléchés, possèdent un potentiel comique infini. C’est déjà ça de pris à la mort. J’m’en vais vous en croquer une chtite brochette.
De kikidonc que je cause ?
Tous ces peignes-culs qui vous font le coup du mépris stellaire parce qu’ils se croient en pleine révélation shamanique, là…c’est agaçant non ? Tous ces pseudos-routards qui se barrent deux semaines dans la Grande Amérique du Sud, et, au retour, nous la jouent « je reviens de tellement « loin », tu pourrais pas comprendre » : c’est délicieux tout de même, non ?
Enfn, si j’étais sérieux, je tempèrerais et reconnaîtrais que c’est sans nul doute un piège qui nous guette, tous autant que nous sommes : surdimensionner la portée d’un sympathique petit voyage exotique et se sentir obligé de gonfler son monde avec les « apprentissages » d’un voyage « unique », « surtout d’un point de vue spirituel », pour un circuit en tape-cul somme toute relativement banal. Mais ici c’est chez Patxi, et c’est pas le type de bouffe que je te sers. Suis pas Presse Citron, ni Versac. Ici c’est pâté, tord-boyaux et chicha issus des entrailles mêmes de la terre. Tu sabes.
Je m’en prends ici à un type spécifique de touristes, à ces nouveaux consommateurs de l’aventure, et autres hippies de contrefaçon qui traversent la vie comme les rayons d’un grand magasin. De ces faux hippies, ces rebelles en stocks, ces faussement débraillés, ces jongleurs du dimanche qui vous donnent la leçon sur le sens de la vie après leur petit paquete turistico en sac à dos quechua qu’on leur a vendu 100% garanti « hors des sentiers battus », et qui pestent de ne pas être totalement « seuls au monde » chez Ramon Ramon, alias, « l’habitant ».
Finalement, il est, à l’évidence, devenu absolument plus aventureux, rebelde et subversif désormais, de prendre un trip America latina Best Of avec lastminute.com ou de passer par un bon gros tour operator bien standard, vu les risques mentaux, les risques post-mal bouffe standard et les risques d’étiquetage social encourus, que de se taper le trip sac à dos-shamanisme-VTT de rigueur. Cela va de soi.
Certains voient dans les hordes de jeunes intermittents du tourisme qui envahissent les terres du Sud, surtout en juillet – août, le portrait de sociétés européennes étriquées, égocentriques et imbues d’elles-même, même quand elles prêchent le contraire. Je ne vais pas jusque là, même si parfois, se laisser aller à quelques raccourcis peut s’avérer un exercice particulièrement plaisant.
Particulièrement sur blog qui, au fonds, n’est qu’un support abstrait, un prétexte factice qui dissimule souvent assez maladroitement une trame de fonds bien plus décisive, à savoir une énorme appétence, un cri, un appel irrésistible pour une bonne grosse branlette en public (tendance à l’épanchement égotique, si tu préfères).
Mais je m’égare là.
Enfin, arrêtes de me faire le coup de la vierge effarouché je te prie, et dis-moi : qui n’a pas vu ces gens prônant un discours de solidarité avec le Tiers-monde, leur préchi-précha misérabiliste sur les habitants des pays pauvres (qu’ils réduisent en fait, sans le savoir, à quelques clichés, les enfermant dans un bocal conceptuel qui pourrait être résumé par le concept de « sous-citoyen-incompétent-sympas-vaguement-faignants-mais tellement-authentiques-et dans le besoin-les pauvres », tout en négociant à mort, longuement et sans concessions des remises complètement ridicules sur le tarif de leur chambre, sur des babioles d’artisanat local ou le prix du trajet en bus ? Qui n’a pas constaté, chez ces gens-là, ce grand écart entre un discours humaniste et généreux envers l’autochtone, en façade (détachable…), et une vraie pratique de petite merde étriquée et mesquine? Ce hiatus entre ce que l’on prône, comme vertu morale, et ce que l’on pratique, en comportement assumé et sûr de son bon droit ?
J’exclue d’emblée de cette (arbitraire) généralisation les 2 groupes de djeunss trop sui generis pour être analysés: les Australiens, qui n’existent qu’en bande, leur rudesse macho dans leur manifestation d’amitié virile qui m’a toujours gonflé et amusé, tout à la fois. Ils sont très sympathiques, très « fun », ne parlent que de plaisir et de matière, voyagent pour un an avant de « rentrer dans la vraie vie », comme ils disent. Ils sont dans un rituel national complètement assimilé et commun chez les jeunes, le world tour post-bac, pré-études ou post-études, pré-joblife. Les routiniers du tour du monde. Ca doit leur faire du bien quand même.
Les étudiants en commerce international de France les adorent. Au moins, ils n’ont plus aucun sens critique, et c’est la société enfin apaisée avec elle-même, dont on rêve dans ces cénacles, qui exhibe son nomadisme faussement décontracté. Hors jeu, trop particulier.
De même, les jeunes Israéliens, en rite de voyage en Amérique ou en Asie, post-service militaire obligatoire de Tsahal (2 ans pour les filles, 3 ans pour les garçons en territoire occupé : ça vous crée de sacrés fils de pute tout de même, même si historiquement, ce sont eux aussi des « malgré eux »). Je ne connais pas groupe social plus détesté par tous les petits et gros acteurs du tourisme en Amérique latine. Un comportement indescriptible. Pour eux, le tiers-monde est un vaste playground qui sert de défouloir à toute la haine et la mesquinerie qu’on peut accumuler dans les casernes d’un pays en guerre d’occupation et de self-défense totalement disproportionnée. Hors concours, donc.
Comment parler de tous les autres ? Par un détour. Dialogue à peu près fidèle extrait de souvenirs d’un très bon bouquin sur l’Inde.
Dialogue étonnant entre un jeune con et un vieux con.
Lequel emportera vos suffrages (tapez SMS-jehaislesfauxhippies)?
Un train local à l’arrêt, pour une énième panne. Un blanc (voyageur) se rapproche d’un autre blanc (résident).
- Salut ! Suis bien content de tomber sur un…quelqu’un d’Europe quoi. J’ai eu de belles expériences spirituelles, tu vois, profondes et tout, mais ça fait du bien de voir un…un européen quoi. T’es d’où ?
- De Bombay.
- Ah… ??
- Non, je suis de Manchester.
- Cool. T’es un voyageur ? Pas un touriste en tout cas, t’as pas l’air. Du coup, je viens te causer un peu…Moi aussi, je voyage.
- Non. Je bosse pour Reuters. Dis-moi, pourquoi ne parles-tu pas aux gens dans le train un peu ? Tu t’ennuieras moins. T’as l’air inquiet un peu, là.
- Ils m’arnaquent tout le temps, j’en ai marre du harcèlement. Et puis ils racontent toujours la même chose, me demandent si je suis marié, si j’ai des enfants, tout le temps, tu vois ? C’est chiant.
- Mmh…(sourire un tantinet narquois). Tu sais ce qu’il se passe en ce moment ? Les affrontements, la grève générale ? La suspension du Parlement ? C’est tendu, incertain. Ca fait peut être du bien de parler d’autre chose avec un visiteur qui vient… de loin.
- Euh…non…je sais juste que les prix des hôtels ont vachement baissé, et ça c’est bien cool.
- Ouais, c’est bien cool hein ?
- Ouais !
- (Mine cruelle, silencieuse, de Reuters)
- Ah…Tu…vous vous moquez de moi là ?
- Nan, pourquoi… ?
- Ecoutez, vous vivez ici, vous êtes un professionnel, moi je suis qu’un voyageur.
- Donc t’es pas obligé de savoir un minimum ce qu’il se passe dans les pays que tu traverses, c’est ça ?
- Ecoutez, vous m’emmerdez. Je suis qu’un type en vacances, et je n’ai pas à réviser pendant mes vacances. J’ai tout le reste de l’année pour ça.
- Très bon… « Université de la vie, première année, travaux pratiques d’aventure de haut niveau, première épreuve : partir dans le tiers monde et survivre ; il n’est exigé ni connaissances, ni curiosité ni intelligence ni sensibilité . »
- T’as pas le droit de me juger, tu me connais pas.
- C’est horrible, je ne te connais pas, et je te juge, c’est tout à fait horrible. Tu as absolument raison. Ce ne sont plus des hippies en mission spirituelle qui débarquent en Inde, aujourd’hui, mais de jeunes connards venus randonner en terre de pauvreté. Je dirais que de nos jours, aller en Inde n’est pas un geste de rébellion mais bien plutôt une entreprise conformiste ouverte à des petits ambitieux des classes moyennes, désireux d’inclure dans leur curriculum, quelque chose qui démontre un peu d’esprit d’initiative. Aujourd’hui, toutes les grosses sociétés cherchent des robots avec juste un poil d’audace, et rien de tel qu’un petit bain dans les foules du tiers-monde pour leur mettre le pied à l’étrier à tous ces futurs cadres. Vous venez ici et vous vous agglutinez les uns aux autres dans une espèce de confraternité professionnelle digne de ces séminaires dits de convivialité chers à certaines entreprises. Et puis une fois accomplie la corvée d’avoir traîné ses pompes au milieu des miséreux, vous pouvez rentrer chez vous et prouver à vos employeurs que vous êtes fins prêts pour une vie de labeur. Je suppose qu’on pourrait appeler ça une forme moderne de circonsicion rituelle, une médaille de la souffrance à gagner pour être accueilli dans la tribu de la future élite européenne. Votre prétendu voyage n’a pour tout horizon qu’une bassesse travestie en ouverture de l’esprit. Vous n’avez pas la moindre curiosité pour l’Inde, pas l’ombre d’une sensibilité pour les difficultés qu’elle affronte. Vous traitez également les indiens avec un mélange de mépris et de méfiance issus tout droit du colonialisme victorien. Votre présence ici est pour moi une insulte. Et les merdeux de ton espèce feraient mieux de repartir dans leur Sussex natal. Bon voyage et n’oublies pas de mentionner ton grand voyage dans ton petit CV.
Voila. La littérature, c’est beau non ?
Je deviens un vieux con. C’est parfait.
Je n’aime pas les hippies de contrefaçon. C'est du falsifié.
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9 commentaires:
C'est sur qu'il n'a pas le format blog ton billet! Mais il est tres interessant et m'a fait beaucoup rire.
Un coup de geule qui fait du bien aux nerfs, non ?! Si je suis assez d'accord avec toi, je me dis aussi que si ça peut servir à ces jeunes crétins à être moins matérialistes et plus tourné vers l'autre une fois de retour au bercail, why not ?!
moi je suis pas d'accord ...
C'est certain que les "hippies de contrefaçons" sont agaçants mais les personnes qui pensent tout connaître tout en prônant leur "savoir être" et leur "savoir vivre" comme une référence m'agacent tout autant...
ouh ... anonyme est courageux, mais il oublie à qui il parle, Patxi c'est bien plus qu'une personnes qui pense tout connaître ... beaucoup plus...
et sans vouloir répondre à sa place je dirais qu'a aucun moment Patxi nous comment on doit se comporté, il tape un peu sur les gens qui le soûle, y'a pas mal à ça, ça soulage... et de toute façon c'est bien connu on est tous le con d'un autre, alors pourquoi se privé de faire partager...
Ah ben c'est bien, ca s'anime un peu, on commencait a se faire chier par ici.
Bon, Mr (ou Mme) anonyme.
on voit que t as pas voyage avec moi:je suis tout a fait loin du savoir faire et du savoir vivre.
ma femme hochera de la tete.
la verite vraie, c'est que quand j'ai lu ce bouquin sur l'Inde,et ce passage, j'ai tout de suite pense a mes propres errances, attitudes deplacees, comportements tranquillement odieux et bien pensants, en poncho, qq poils a la barbe, a negocier comme un crevard sur un marche artisanal du Guatemala a des artisans a peu pres outres. tout ca. le premier voyage.je voyais du cafe, du mais, des indiens, et il me semblait que je decouvrai le Nouveau monde, le Suriname voltairien.c'est l'effet de l'exotisme euphorisant, c'est magnifique et avec le temps c'est aussi assez stupide.retrospectivement.donc c'est beau, poetique, agacant, mais toujours important pour soi.
c'est a un de mes moi que j'adresse ce petit truc aussi, contrairement a ce que tu penses.
en plus je pete au lit, meme chez l'habitant.
par ailleurs il m'arrive de roter, plus que de proner, ici bas.bref, sais pas me tenir.ici non plus mais au moins c'est chez moi.
quant a "une reference qui connait tout": la on est bien d'accord.il n'y a pas de dechet sur ce blog.je suis le nouveau Spinoza qui fait du VTT.ici c'est la nouvelle encyclo universalis. j'apprends par coeur les introductions "histoire et culture" du lonely planet pour pouvoir "niquer la raza" et creuser un sillon et creer ainsi un Bon Touriste Renove et Bien Bien.
merci en tout cas de ton ecriture racee et de mettre un peu de smack my bitch up.
e: la maman prof qui "gaffe" au milieu des parents d'eleves du mexique, tres bon scenario...
tonio: me defendre comme ca, en exegete blogguien...ne refais plus jamais ca.je prefere les autodefenses...(double clin d'oeil escondido).Oye Uribe et Pablo Escobar, enfin ca sort partout dans la presse, meme au NY Times.Il est fort le bougre.
les informes CIA DE 91 sont pas ecrits par des charlots, tu sabes.on prefererait ne pas y croire...
D'accord, je ne le ferais plus, vive l'autodéfense... mais laisse moi au moins le plaisir d'être le Yair Klein de service... ;)
Billet d'anthologie; cela me rappelle tellement de souvenirs...
Il y a aussi la version:
"Super, ce sens de l'hospitalité, ici"
en omettant le fait qu'on a donné le meilleur lit au voyageur (voire le seul) et qu'un pauvre type ira bosser le lendemain après avoir passé dix heures sur un parquet, dévoré par les moustiques (bah oui, il n'y a qu'une moustiquaire et elle est sur le lit);
et qu'on s'est abondamment goinfré en tapant dans les réserves alimentaires familiales, que l'on croit "compenser" en offrant un stylo d'occasion voire un tube de dentifrice entamé.
Et "là bas" il y a aussi des vilains qui dépouillent! Faut voir alors comment les "voyageurs différents" se transforment en merdeux lepénistes avides de généralisation hâtives, pour peu qu'ils se soient fait délester de leur montre ou de leur bourse...
hola Patxi: c'est incroyable cette post...il faut que je le lis neuvellment, il est tres riches en idees et tres drole. Moi, j'avait la meme impresion, de cette type de voyageurs, mais j'ai pensee que c'etait moi, qui avait tort, qui c'etait peut etre ma vu de sudamericain qui vien d'un pais pauvre...et qui est trop habitue à regarder des argentins rich ou de clase moyen avec la meme "filosofie" de voyage.Moi meme je m'ai trouve en regardant les "coyas" comme si ils soient des animaux exotiques, et j'etait si degoute de moi meme.
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