mardi 5 février 2008

L'économie, talon d'Achille du Venezuela

Le soutien des classes populaires à Chavez est en chute libre.
La relation utilitariste-charismatique a ses limites dans le monde réel...
La révolution n'a pas et n'aura pas lieu.

40 pour cent d'inflation sur les produits de première necéssité ces deux dernières années, des pénuries de plus en plus mal vécues par les masses paupérisées.

La production industrielle et agraire à son niveau historique le plus bas, une néo nomenklatura, verdadera classe parasitaire issue de l'armée, de plus en plus indécente. Bref, des perspectives compliquées. De quoi donner envie de souder davantage encore les masses contre un ennemi extérieur...
Ca, ils sauront parfaitement le capitaliser et le gérer.

Pour le reste, je vous propose cet article éclairant, tiré d'un analyste de gauche de la Jornada, Mexique, traduit par RISAL. Autrefois plutôt favorable à Chavez, mais lucide sur l'échec absolu de ses politiques économiques. Comme beaucoup de vrais analystes sur la gauche de Chavez, en somme.


L’économie, talon d’Achille du Venezuela

par Guillermo Almeyra


A l’époque du premier gouvernement de Carlos Andrés Pérez (1974-1979), on parlait de la « Venezuela saoudite ». Le pétrole suffisait pour tout et l’on importait tout, jusqu’aux tomates, qui arrivaient de Miami, enveloppées sous papier cellophane, comme des bonbons. Mais le pays n’est pas sorti de son retard, les importations bon marché ont saboté l’industrialisation naissante, la pauvreté a augmenté, à peine soulagée par les politiques distributionnistes et d’assistance primitives du parti Action Démocratique (AD), et la corruption s’est répandue pendant que certains devenaient millionnaires en pétrodollars... jusqu’au moment où le prix du combustible a baissé.

C’est alors qu’a débuté l’effondrement de la république des Adecos et des Copeyanos [sociaux-démocrates et démocrates-chrétiens] – regrettée aujourd’hui par les anti-chavistes –, avec ses dirigeants syndicaux corrompus d’AD, dont un noyau ouvrier, corporatiste et privilégié, corrompu, qui attendait tout de l’Etat.

Comme on le sait, le vide ainsi créé a été rempli par un lieutenant-colonel [Hugo Chavez] disposé à nettoyer les écuries d’Augias [1] gouvernementales en utilisant la marée populaire. On a ainsi un gouvernement nationaliste appuyé par les masses. Mais l’Etat capitaliste n’a pas changé. Et il est marqué par une bureaucratie ayant des intérêts et une mentalité capitalistes qui cherche à affirmer ses privilèges, qui s’oppose à être contrôlée d’en bas et qui fait tous les efforts nécessaires pour que cela ne soit pas possible, contrairement à ce que dit et souhaite le président.

L’orientation de l’économie n’a donc pas changé non plus de manière fondamentale, tout au plus a-t-on renforcé les subventions et augmenté les politiques d’assistance pour soulager la pauvreté et réduire l’ignorance. Le pays dispose d’une énorme quantité de terres fertiles, mais il n’a pas de paysans productifs. Et dans les villes, les sous-employés ou les chômeurs n’éprouvent pas le besoin de réclamer un travail productif en créant des ateliers ou de petites industries - ce que les importations bon marché rendent impossible - et encore moins d’aller à la campagne produire leurs propres aliments.

La politique économique subsidie avec les revenus pétroliers – qui pourraient une chute jusqu’à 20% lors d’une récession qui frapperait l’économie des Etats-Unis – l’importation de produits de luxe et de biens industriels qui ne sont pas de première nécessité pour le pays. Et puisqu’il est possible d’importer des aliments et des produits de consommation bon marché, il n’y a pas d’espace pour la création de moyennes entreprises vénézuéliennes. Par conséquent, il n’y en a pas non plus pour la création de postes de travail, pour une éducation visant à créer une mentalité et une discipline productives, pour la transformation de ceux qui vivent de l’appareil d’État grâce à la rente pétrolière en une classe ouvrière industrielle, organisée dans les centres de travail, consciente de son rôle dans la production, citoyenne de droit.

Du point de vue de son économie, le Venezuela est plus proche de la Libye que des associés du Mercosur. En effet, en Libye, logement, l’eau, l’électricité, l’éducation et beaucoup d’autres choses sont à la charge de la rente pétrolière... jusqu’à ce que le pétrole tarisse ou que la récession états-unienne en réduise le prix. Il ne suffit pas d’acheter de la technologie, ni même des usines ou des complexes agroindustriels, clés en main, si on ne crée pas les conditions politiques et culturelles pour le développement de producteurs, d’ouvriers industriels et de paysans qui les rendent productifs.

Le socialisme ne naît pas de la distribution, mais de la production de biens abondants et de qualité pour assurer l’autosuffisance et la sécurité alimentaires, mais aussi de la créativité nationale dans le domaine de la technique et de la recherche, et pour créer des prolétaires et des citoyens capables d’organiser l’autogestion et de combattre le clientélisme et réduire au maximum la bureaucratie.

L’inflation représente un impôt pour tous les salariés. Cela pèse terriblement en particulier sur les secteurs pauvres, car les politiques « assistantialistes » ne suffisent pas à compenser ce fléau. Or, lorsqu’il y a une production réduite de biens de consommation, qui se combine avec une augmentation du pouvoir d’achat entraînée par les politiques « assistantialistes », l’inflation augmente. En effet, il y a alors de l’argent liquide, mais pas les marchandises que l’on veut acheter ; et de surcroît s’ajoute à l’inflation la fuite des devises dont on aurait besoin pour payer ce qu’on peut produire dans le pays.

Chavez veut « semer le pétrole », c’est-à-dire développer avec la richesse pétrolière la production d’aliments et de produits agroindustriels. Mais pour que cette intention louable devienne réalité, il ne suffit pas de verser des subsides aux paysans pour qu’ils ne quittent pas la campagne pour la ville : il faut leur donner des terres, du soutien technique, et, surtout, des conditions politiques pour leur permettre de surmonter le sabotage de la bureaucratie durant une première phase pendant laquelle ils devront apprendre, en trébuchant, comment produire en autogestion, et comment répondre à un marché intérieur imprécis et en formation.

Une des tâches fondamentales du Parti Socialiste Uni du Venezuela (PSUV) [qui tient son premier congrès en cette fin janvier], créé par Chavez, devrait être donc justement de discuter de la politique économique nécessaire pour créer une mentalité productive nationale, non corporatiste et solidaire.
En effet, si une politique juste de taux de change freine les importations et qu’il n’y a pas encore de production, une série de produits viendront à manquer, surtout ceux liés au confort urbain, ou leur qualité pourrait, pendant un certain temps, être moindre.

NOTES:

[1] [NDLR] http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89...

RISAL - Réseau d'information et de solidarité avec l'Amérique latine
URL: http://risal.collectifs.net/


Source : La Jornada (http://www.jornada.unam.mx), 20 janvier 2008.

Traduction : revue A l’Encontre (http://www.alencontre.org). Traduction revue par l’équipe du RISAL (http://risal.collectifs.net).

1 commentaire:

Francis J. a dit…

Une analyse que bien des camarades français partagent, en off, depuis longtemps. Cette publication par le Risal laisse entendre qu'ils ont définitivement perdu tout espoir de voir Chávez rectifier sa ligne politique.