Enfant noir de Port of Spain, Caraibes (surtout ne jamais utiliser l'insupportable terminologie aseptisante, qui rabote les angles droits et pourtant en vogue, le mot black)
Et les chiens se taisaient. Une pièce de théâtre du maestro.
Et les chiens tairont, sans doute, le vrai contenu du personnage, lors de cet hommage national d'une hypocrisie décidément sans limites en ces temps d'absurde course aux chiffres et aux sans papiers.
On souillera son image d'un globibulga tout en guimauve, très, très loin de ses prises de position véritables. Radicales et censées.
Je ne sais pas combien de gens, parmi les huiles ou les eaux de vidange qui assisteront aux obsèques nationales d'Aimé Césaire, ont lu Présence Africaine, ont compris ou essayé de comprendre sa lutte politique et culturelle, son art, son Combat concret dans les quartiers de Fort de France, à l'assemblée et ailleurs.
Et combien sont en pratique, chaque jour, l'exact contraire de ce qu'il est.
Et combien se situent, en pratique, chaque jour, du côté de l'oppresseur.
Et combien n'imaginent pas ce que signifie, aujourd'hui, "être noir", en France.
Construit contre l'idéologie coloniale française de l'époque, le projet de la Négritude, culturel, politique, total, contrairement à l'angle biaisé-ringardisant des hommages sur France télévisions ce soir, a toujours une résonance énorme dans le monde d'aujourd'hui.
Point de manichéisme servile, partisan, aux ordres, stupidement aligné, chez lui.
Mais un humanisme actif et concret, à destination de tous les opprimés de la planète. « Je suis de la race de ceux qu’on opprime ».
En Amérique latine, dans les caraïbes, que ce soit chez les garifunas du Guaté ou du Nicaragua, chez les afro péruviens ou afro colombiens de la côté, chez les habitants de la pauvre Dominique ou de Trini, Aimé est une balise, voire un phare.
J'ai souvent été surpris de voir des posters, portraits de lui chez certains latino américains ou dans les bureaux de certaines associations.
C'est qu'Aimé, français, noir, antillais, africain, était aussi profondément "latino-caribeo-américain", avant d'être universel.
Sur Le Monde, cette superbe interview.
Je regarde les textes, je n'y comprends rien. Les rues de Fort-de-France sont affligées de caniveaux où les Martiniquais, la nuit, en se cachant, déversent leur merde. Pas possible ! Il faut faire un réseau. Mais on n'a pas d'argent ? "Je n'en sais rien, mais je ne commencerai pas mon règne par une abdication." Quelle prétention ! hein ? Quelle emphase ! "L'argent, nous le trouverons !" Je n'ai pas demandé de subventions, j'ai fait un emprunt. Et nous avons fait moderniser ces quartiers de cases sans toit, de masures pourries et d'enfants aux pieds nus. Voilà comment est née ma carrière.
Bien entendu, je suis très vulnérable, mais nous avions une pensée, une conception de la vie. Je ne suis pas antifrançais : je suis d'abord martiniquais.
Après mon bachot, M. Revert, mon professeur, me conseille d'aller préparer l'Ecole normale supérieure, à Paris. Au lycée Louis-le-Grand, où il me fait recommander, je suis très bien accueilli. En sortant du secrétariat, qu'est-ce que je vois, arrivant de l'autre bout du couloir ? Un petit homme noir à grosses lunettes épaisses, en blouse grise. Autour des reins, une ficelle au bout de laquelle pend un encrier vide qui se balade dans ses jambes. Il vient à moi : "Alors, bizut ! Comment t'appelles-tu ? D'où viens-tu ? - Je viens de la Martinique et je m'appelle Aimé Césaire, et toi ? - Je m'appelle Léopold Sédar Senghor et je viens du Sénégal. Tu seras mon bizut." Autrement dit, en arrivant dans un lycée français, ce n'est pas du tout un Français que je rencontre, ce qui m'a immédiatement paru sympathique et symbolique. On est restés copains, on se voyait tous les jours. Nous parlions de littérature. Nous avions une petite cellule africaine, si vous voulez.
En 1945, j'arrive à l'Assemblée nationale, je vois un petit homme noir à grosses lunettes, il tombe dans mes bras : "Alors, Césaire ! tu es député de la Martinique, moi du Sénégal..." J'ai continué de le voir pendant tout son séjour parisien, ainsi que Léon Gontran Damas, le Guyanais, ou Michel Leiris. Nous parlions à l'infini des Antilles, de l'Afrique et de la "négritude".
Le mot "nègre" était insultant.
Mais ce n'est pas nous qui l'avions inventé. Un jour, je traverse une rue de Paris, pas loin de la place d'Italie. Un type passe en voiture : "Eh, petit nègre !" C'était un Français. Alors, je lui dis : "Le petit nègre t'emmerde !" Le lendemain, je propose à Senghor de rédiger ensemble avec Damas un journal : L'Etudiant noir. Léopold : "Je supprimerais ça, on devrait l'appeler Les Etudiants nègres. Tu as compris ? Ça nous est lancé comme une insulte. Eh bien, je le ramasse, et je fais face." Voici comment est née la "négritude", en réponse à une provocation.
Et il finit:
Ma poésie est née de mon action.
Ah et puis le blog NOIRS D AMERIQUE LATINE est à lire absolument pour qui s'intéresse un peu à tout ça.
4 commentaires:
Merci pour ce rappel...
Enfin un texte court mais vrai qui dit ce que ne disent pas tous les articles dégoulinant de commémoration forcée et ignorante...
Combien de ceux qui pleurent Césaire ont lu au moins un de ses livres ?
J'allais écrire exactement la dernière phrase de Bertrand...
Cela dit, le PPM de Césaire a mal tourné, tout comme le PSG (Parti Socialiste Guyanais créé par Justin Catayée... je précise pour éviter toute confusion): le volontarisme et l'ambition sociale des premières années a fait place au népotisme abrutissant, voire à la corruption. Césaire n'en est pas responsable mais peut être aurait-t-il du élever la voix contre cette dérive: on l'aurait certainement écouté, lui!
Merci pour ces buenos commentaires.
la corruption, vaste theme..comment va leon bertrand tiens a ce propos?
PSG.c'est vraiment un nom a la con ca.
Léon Bertrand a été triomphalement réélu à la mairie de Saint-Laurent (eh oui, comme Berlusconi ailleurs et "plus haut"), et il prépare la reconquête de son siège de député
Pour le "PSG": il s'appelait comme cela avant le club de foot. cela dit, ses sympathisants se comportent souvent comme les Boulogne-boys: aussi xénophobes, aussi cons.
Tiens, en 2005 j'ai demandé aux Messageries Guyanaises de Presse (monopole de fait de l'importation des livres): pour toute la région on a vendu 385 ouvrages de Césaire... pourtant dans le programme du Bac. D'accord la Guyane n'est pas la Martinique, mais...
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