samedi 28 juin 2008
A poil: de la civilisation des moeurs en Amérique latine
Dura lex sed lex dans les Caraïbes
Norbert Elias. La civilisation des mœurs.
Le Processus de civilisation est un livre merveilleux, audacieux, comparatif, curieux de tous les sujets.
En voila un putain de bon bouquin à déguster entre deux aéroports et autres froides zones de duty-free.
Le Processus de Civilisation comprend en fait deux livres dont le premier, La Civilisation des moeurs, est sans doute le plus connu. Dans cet ouvrage, Elias s'intéresse aux moeurs de l'élite: comportement à table, fonctions du corps, vie sexuelle, agressions, etc... Il dessine une structure du changement sur le long terme, de la fin de l'époque médiévale au début de la période moderne. À mesure que le seuil de la honte s'élevait des choses qui auparavant étaient acceptables devenaient inacceptables (comme par exemple se moucher dans la nappe); des comportements (tels que déféquer) étaient de plus en plus pratiqués dans des endroits particuliers à l'abri des regards. La chambre est l'exemple classique de l'évolution des frontières entre la sphère privée et la sphère publique. Dans la société médiévale les visiteurs étaient habituellement reçus dans la chambre, les lits eux-mêmes montrant le prestige et l'opulence de leurs propriétaires. Il n'y avait rien d'inhabituel à ce que des étrangers partagent un même lit et les auteurs de livres de savoir-vivre de cette époque considéraient cela comme chose normale. Un auteur anglais de la fin du XVème siècle donnait ce conseil: si vous partagez un lit avec un supérieur, demandez-lui quel côté du lit il préfère, ne vous couchez pas avant qu'il ne vous y invite ("cela n'est pas de la courtoisie"), couchez-vous droit et dites bonne nuit. Cependant il y avait des signes de changement.
De la Chambre, d'Erasme était encore principalement consacré aux attitudes à l'égard des autres, mais on commençait à entendre de nouveaux sons de cloche, faisant écho aux thèmes de la modestie et de la moralité. Les comportements changeaient doucement et la chambre devint un lieu de plus en plus privé au cours des deux siècles suivants, tout au moins pour l'élite sociale. Les injonctions morales des donneurs de conseils devinrent de plus en plus sévères. Un autre changement advint : l'habitude de dormir nu fit place à celle de porter des vêtements de nuit, habitude qui fut prise en Europe à peu près au même moment que celle d'utiliser une fourchette et un mouchoir. Elias suggère que la propension croissante à couvrir le corps, dans la chambre comme dans la salle de bain, donnait une nouvelle signification à la peinture de nus dans l'art.
Cela ne représentait pas un raffinement superficiel, affirme Elias, mais un tournant dans la structure des sentiments résultant d'un changement des relations sociales. D'où passage de la courtoisie à la civilité et à la civilisation;
d'où également le second livre, qui propose un synopsis de la construction de l'État depuis l'aube du Moyen-Age jusqu'au XVIIIème siècle, au fur et à mesure qu'une unité politique plus puissante se constituait, revendiquant le monopole des taxes et de l'utilisation de la force. Ce processus a créé les circonstances dans lesquelles la violence privée fut domptée et les affects remodelés.
Au cours des années, les contraintes qui étaient personnelles et externes devinrent impersonnelles et intériorisées et que, prenant la forme d'une "nouvelle économie des instincts", elles devinrent automatiques - un processus du même type que celui décrit par Weber dans L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme, qui montre comment une attitude originellement religieuse se détache petit à petit de son objectif premier et acquiert sa propre dynamique comme pulsion intériorisée.
Et me voici donc, au milieu de ces terres chaudes, ce bouquin entre les mains...et je me laisse aller à une facilité qui est peut être celle des gens libres au fonds, sorte de Jeanfoutres astreints à aucune forme de validité scientifique, Jeanfoutres qui réfléchissent et s'astiquottent le cortex juste pour le plaisir, tout en matant les seins qui passent, le temps qui passe, ta vie même qui passe: bref, rien de plus revigorant, quand tu es engourdi par le jet lag et le voyage, que de faire son sociologue à deux balles d'aéroport...
Aéroports d'Amérique latine auxquels j'ai tout de même fini par dédier des centaines d'heure de mon existence. Annulations, retards, foutoir traditionel aidant...
Et en ces terres je vois partout (sauf au Pérou et au Chili, pays vraiment trop conservateurs, y a pas à chier), à y regarder de plus près, des instincts bien souvent non refoulés, il faut quand même le reconnaitre en ces temps de déprime européenne: qu'ils soient violents, sexuels, les deux, qu'ils consistent à dormir nu, jouir bruyamment, chanter à tue tête et en public, se flinguer pour un oui ou un portable, taper dans la caisse de façon TRES TRES visible, et sous les yeux du "flic" quand il n'est pas complice, tant qu'à faire. Tout ça.
Oui, je pense à ces époques historiques de basculement graduel ou la violence privée se trouve domptée et les affects remodelés. Ou les contraintes qui étaient personnelles et externes devinrent impersonnelles et intériorisées.
Oui je pense à tout ça, à Marx contre Freud, au désenchantement du monde Weberien, à Espagne -Allemagne, tout en songeant à ce couple incroyablement sexy qui vient de se faire une petite séance de foumoila-express dans les toilettes de l'aéroport. Et qui se cache à peine, émergeant gaiment de leurs ébats...
En Amérique latine, en Europe, des moeurs croisés, si semblables, si différents.
Comme un miroir inversé. Temporalités croisés.
parfois je me demande: traiteront-ils mieux leurs enfances-leurs enfants, enfin, quand nous traiterons mieux nos vieillesses-nos anciens et anciennes? (zavez deux heures pour celle là tiens).
Relativité des mesures de la "civilisation", à l'évidence.
Si l'option de l'homicide est peu envisagé chez nous, pour régler nos problèmes, le suicide ne l'est pas du tout pour autant non plus, en terre d'amérique sudiste.
Etonnant non?
Bon, sur ce, je file, voudrais pas rater mon avion vers ce passé qui ne passe pas...
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5 commentaires:
Belle progression dans le texte...
Faut que je me procure ce bouquin...
Aurais je l'occasion, un jour de me replonger dans une fiction?
ben oui hein !
Je viens d'ailleurs de lire ça :
http://www.noticias24.com/actualidad/?p=15569
je sais, je sais…
(entre parenthèse, faire un commentaire chez toi c'est vraiment la croix et la bannière)
Réflexion quand tu nous tiens !
Pas mal l'expression : "séance de foumoila-express"...
Et : "Comme un miroir inversé. Temporalités croisés.
parfois je me demande: traiteront-ils mieux leurs enfances-leurs enfants, enfin, quand nous traiterons mieux nos vieillesses-nos anciens et anciennes? (zavez deux heures pour celle là tiens).
Relativité des mesures de la "civilisation", à l'évidence.
Si l'option de l'homicide est peu envisagé chez nous, pour régler nos problèmes, le suicide ne l'est pas du tout pour autant non plus, en terre d'amérique sudiste." alors là, j'avoue que c'est un peu confus pour moi...
Oupalay, bein dis-donc Patxi, les annulations de vols et les jet lag te vont comme un gant. Si tu continues sur ce train, je vais commencer à te citer à tout bout de champ.
Mwah,
Loula
alors, en la orden:
-anonyme de chateau rouge, moi aussi suis-je un anonyme a chateau rouge, avant marcadet poissoniers, par la.
la fiction eclaire et depasse le reel, en realisme, souvent.dommage.suggestion amicale:lisez American tabloid de james ellroy par exemple.JFK, cuba, tout ca, plus vrai que vrai..
- Tio Patrick, noticias24 est de la basura de chez basura INC.mais merci pour le lien crapuleux, mais neanmoins interessant.desole pour les pb de commentaires...
- michele, ma wanabee prose est parfois apre, voire confuse, c'est vrai.alors on fait une ronde, on prend la main de son ptit voisin, et on reprend pour michele: je constate que le continent latino est tres violent envers autrui (homicides, attaques), tandis qu en europe on dirige sa violence vers soi.beaucoup plus.il y a bcp de suicides en europe, 13
000 morts en 2006 en France, tres peu dans des societes ou les solidarites familiales et communautaires resistent encore a la civilisation de l'individu atomise (que nous preparons chaque jour un peu plus).
""Relativité des mesures de la "civilisation", à l'évidence.""
pour nous cette violence est barbare, pour eux nos suicides sont barbares.
je ne sais pas si j'ai ete plus clair.
de meme pour le sort reserve aux enfants, ici, la bas, et aux vieux.
enfin c'est du blabla d'aeroport au final.
Madame Loula, mouah.
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