lundi 23 juin 2008
Même la Vierge de Guadalupe...
Les cactus mexicains sont menacés par la concurrence chinoise
Tata Joelle, pour LE MONDE
A perte de vue, du vert et du noir. En rangs serrés, des milliers d'arbustes aux feuilles ovales charnues, hérissées d'épines, s'alignent sur la terre volcanique, aussi sombre que l'humus et enfin rafraîchie par les premières pluies. Le nopal (Opuntia ficus indica) est sans doute le plus mexicain des cactus - au point qu'il figure sur le drapeau national. Et le meilleur nopal pousse à Milpa Alta, au sud de Mexico, grâce à l'altitude et au savoir-faire des paysans, qui entretiennent les champs en terrasses construits par leurs ancêtres nahuatl.
A l'entrée de Milpa Alta, des banderoles trahissent pourtant l'inquiétude : "Chin-chun-chan nopales chinos" ("A bas les nopals chinetoques !"). Pour beaucoup de paysans, il est inadmissible qu'une plante née il y a sept mille ans sur le haut plateau central mexicain soit cultivée avec succès en Asie, puis revienne en Amérique sous forme de conserves, de cosmétiques et de compléments alimentaires. "Il y a plus de dix ans, raconte Mario Martinez, chargé du développement agricole dans la municipalité, des Chinois sont venus ici se faire expliquer la façon dont on cultive le nopal. Personne ne s'est méfié ! Ils se sont concentrés sur sa transformation industrielle, et maintenant nous voyons arriver des produits "made in China" à base de nopal." Depuis 2003, la Chine a même détrôné le Mexique au deuxième rang des fournisseurs des Etats-Unis sur ce marché.
"Ils copient absolument tout, même la Vierge de Guadalupe (emblème du catholicisme mexicain), soupire José Luis Cabrera, chef de la municipalité de Milpa Alta. Du coup, nous avons mis en route un processus de certification, afin d'obtenir une appellation contrôlée. Mais nous avons le plus grand mal à convaincre les gens d'ici qu'il ne faut pas se limiter à le commercialiser comme un produit frais."
BREVET
Depuis un demi-siècle, les paysans ont délaissé les autres cultures pour se consacrer à celle du nopal. "Ici, on l'appelle "l'or vert", car il fait vivre 13 000 familles", raconte Angelica Olvera, propriétaire, avec son père, d'une parcelle de 3,5 hectares.
Au Mexique, le nopal est d'abord consommé comme un légume, débarrassé à la main de ses épines, puis émincé, cuit à l'eau et mangé en salade. Sa couleur rappelle celle du haricot vert, mais sa consistance, à la fois croquante et gluante, surprend le palais occidental. Les étrangers découvrent vite ses vertus : il diminue le cholestérol, et surtout il fait baisser le taux de sucre dans le sang, un atout précieux dans un pays où le diabète prend l'allure d'une épidémie. Les experts encouragent les industriels de l'alimentation à employer de la farine de nopal pour fabriquer des tortillas (galettes) à valeur diététique ajoutée. Vendues sous la marque Nopalia, des tostadas (tortillas grillées) composées à 60 % de nopal ont fait une discrète apparition sur les rayons des grandes surfaces.
"On craignait que les Chinois ne déposent un brevet sur la plante. Mais l'Organisation mondiale du commerce ne le permet pas, rappelle M. Cabrera. En revanche, c'est tout à fait possible pour des dérivés industriels." Réveillés par l'incursion chinoise, les responsables de Milpa Alta explorent aujourd'hui d'autres voies, par exemple remettre au goût du jour l'usage du nopal pour fixer les pigments des peintures, comme on le faisait dans la construction traditionnelle. Il y a quelques mois, ils ont réussi à regrouper une dizaine de petites entreprises qui produisent des condiments, des marmelades ou même du shampooing à base du précieux cactus, leur proposant un label et des étiquettes.
Car, faute d'initiative, les nopaleros de la région de Mexico risquent de connaître le même sort que les fabricants de guayaberas du Yucatan, ces chemises tropicales blanches, très confortables par grande chaleur, que les ateliers chinois copient désormais à bas prix pour les vendre aux chaînes de distribution comme Wal-Mart.
Joëlle Stolz
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