samedi 25 avril 2009

La Mama de l'expat, 2




Over the rainbow





Les pérégrinations, les palpitations de la Mama de l’expat, ta maman, tu les as suivies, de loin, puis au plus près. Et elles ne t’ont pas été totalement indifférentes, apparemment.

Alors, d’habitude peu attentif à tes attentes, une fois ne sera pas coutume, j’obtempère.
Et je t’en ressers même un ptit chouïa pour la route.


La mama de l’expat, ta mama, elle est bien contente d’en savoir un peu plus sur TON « pays de fous » (car il est bien évidemment d’usage-homologué- de décrire « son » pays d’expat comme le plus « compliqué », le plus « ouf », le plus ceci ou le plus cela du Continent, voire même, du Moooooooonde).
Ta mama, elle est bien contente, en tout cas, de pouvoir entourer ta voix métallique et loitaine, au téléphone, désormais, avec des petits bouts d’images, un cadre concret, les petits riens qui vous peignent un peu plus clairement un environnement, un contexte, un climat,

ton chez toi fait de meubles bizarres et d’odeurs toutes aussi exotiques, et pis la vue depuis le balcon, les tronches des tes nouveaux ami-es et collègues, les histoires et les sons de la rue, qui grouille, qui dort jamais, c’est pas comme chez nous dis-donc…Bohlala, le bruit, l’agitation, la vie dis-donc dans ta ville, mon fils, ma fille…

Car elle l’a bel et bien pris cette fois, ce foutu avion qui t’emmène si loin d’elle; elle ne sera pas restée là, plantée, les bras ballants, à se sentir comme une imbécile avec ses yeux tout mouillés, immobile, au milieu des vas et viens des cohortes de nomades régionaux, à l’aise, pressés qui s'agitent dans les aéroports de province.
L’avion, cette fois, l’est bien pour elle…elle qui n’en a que très peu l’habitude.

Elle est donc Venue. Vu. Vici, ici.
Dans ton Tiers Monde à toi.

Elle a mangé les plats locaux. Tous. Une envie de bouffer, de se rembobiner les aiguilles du temps perdu autrefois, avec son tocard de mari, puis du temps passé, avec quelques autres branleurs medio braves, medio charlatans, attirés au mieux par Palavas ou la Baule plus que pas ces contrées tropicales. En même temps, y avait même pas assez de dinars pour la Baule non plus, alors pensez-donc, Cancun.

Elle en a bouffé, bu, des spécialités locales.
Toutes.
Elle en a choppé des mini typhus, des parasites, des touristas, surtout sur la fin.
Tous.
Ca n’a pas entamé sa bonne humeur. Sa soif de découverte.
« La coliqua no pasara, mon grand. Allez, on annule rien du tout, on y va ! J’ai pris mon rouleau au cas où ». La classe mondiale, que j’te dis, la mama!

Elle a pris 876 photos.
En 13 jours.
876 photos.
Papiers.
Elle a voulu les développer sur place. Toutes.
« Moins cherrr, pardi ! ».
Malgré les 643 qu’elle t’a fait prendre, à toi, sur ton (certes) merdique joujou numérique CASIO (car ton Canon pro là, d’avant, tu tl’es fait voler dans le métro parisien, juste au retour, dans un de ces moments de relâche prétentieuse, ou tu penses que t’es un dur qu’a vécu à Mexico City donc c’est pas ici qu't’arrivera quoi que ce soit quoi…toute similitude avec la réalité n’est que…).
Malgré les promesses de CD-rom (« et comment que je vais te l’ouvrir ton machin là ? Faudra que j’aille chez ta sœur ? Encore faut-il que je dérange personne moi là bas paske bon… ») , malgré les possibilités d’impression « personnalisée » des plus belles photos.
Non, il les faut toutes. Maintenant.

C’est tellement beau, tout ça, là, les gens, là, et pis les paysages, et surtout prends un premier plan toujours, comme une feuille de palmier par exemple (vas-y, je te la tiens, là, en premier plan, comme ça, ça remplis bien le tout..tu vois fiston ? tu vois, poupougne ?...ouh, et ces cactus ! prends ! Ouh, et ces fleurs, en premier plan, tiens, baisses-toi, mama mia, quelle splendeur dis donc ! Que je suis gâtée ! Tiens prends les pêcheurs qui arrivent là ! Non pas moi, me prends pas, je suis toute vieille…Et pis moche aussi. Prends les eux, plutôt.
Dis pas ça, m’an. Tu sors très bien en photo en plus et…
Elle est déjà en train de poser des questions aux pêchous du coin.
Et de faire des moulinets. Et de parler avec ses mots à elle, comme elle peut. Et de lever la tête, les afro-gaillards la dépassant de 6 têtes.

Et tu t’approches, plutôt gêné.
Gêné par quoi, imbécile ? Par sa propre outrecuidance, son côté « sans gêne - j’ai-pas-les-codes » ? C’est ça ? Mais c’est toi qu’est « trop de codes », des fois, fiston expatounet…Tu l’as mis ou ta spontanéité, hein, dis ?
Ta mère qui parle à tout le pueblo, ça te gêne? Ton inconfort, ce serait pas plutôt lié à ton propre manque d’audace et d’allant, toi qui parfois reste muet, aveugle, voire indifférent et silencieux envers l’autochtone ? Peur de quoi, au juste ? On peut savoir ? De déranger ? De faire du bruit ? Mais t’as vu le bordel sur ce petit port sans déconner ? Et puis tu crois vraiment être le premier blanc bec en quechua qu’ils voient débarquer ma parole ? Ils en ont vu d’autres, alors autant que ça se passe naturellement, joyeusement, que ça se passe...plutôt que ces petits vides qui ressemblent à s'y méprendre à du mépris réciproque. Du contact, cash, plutôt que ces frôlements frileux…

C’est toi qui est gênant, quand tout le port et le 4 ème Syndicat coopératif pesquero de Puerto Angelito se marre des récits de ta mère, grand ; et que toi t’es là, empoté, et te décide enfin à te dérider un peu.

Putain, le port des tongs et des Vuarnet à cordon ne suffisent pas à te détendre complètement, fiston d’Europa en terre bamboula. Être "cool", ça prendra son temps, vue le terreau calviniste qui t’a travaillé, travaillé, travaillé…Allez, relax, et laisses là prendre ces 1000 photos de pêcheurs musclés, et de leur raconter ses anecdotes, à ta vieille.

La mama de l’expat, elle adore les zanimaux, aussi. Surtout les toucans, mais pas les serpents.
Et pour s’approcher de sa cible animale, elle est prête à tout. Y compris les petits conseils appuyés au guide, au cas ou il aurait pas encore compris ce qu'elle cherche à figer dans le temps, à immortaliser…Ah ah…

La mama, ta maman, elle aime tout ce bordel, mais sait pas comment qu’on fait pour y vivre tout le temps, non plus. Ah ça oui, sont gentils.
Mais alors y a des trous partout sur ces routes, c’est pas possible.
Et puis toujours à la bourre dis-donc...
Mais qu’est-ce qu’ils sont gentils.
Tu sais, avant, au village, on était comme ça aussi. Y’avait, je sais pas moi, un peu d’entraide. Boh j’idéalise aussi, y’avait ces merdeux qui martyrisaient les plus faibles. Aussi. Bon et puis des rugbymen, le curé…En tout cas tout le monde tuait le cochon ensemble…
Et là, ta maman, qui t’ouvre une presque-pensée intérieure : tout pareil comme dans les romans de Mauriac, dans le bordelais rural…
Les divorcées exclues, les cancans interminables. Mais il y avait la joie d’être ensemble. Le partage. Et ici on dirait qu’ils vivent ça, pareil qu’avant, nous, non ? Hein, biquet, fiston ?
-Réponse : Mmmhh…moui, c’est possibe, m’an…Mais bon, on est tous des consumeris capitalistus à la fin, ici aussi.C’est vrai qu’y’a tous ces petits métiers et commerces de proximité, aussi, un peu partout, qu’on voit plus en Europe désormais, dans les rues…Coutelier, cordonnier, livreurs de cageots, d’eau, de lait, artisans, roulottes multiservices, chapelier, chamelier…

« Finalement, c’est bien eux qu’on raison, teh, pardi. On gobe des anxiolytiques et toutes ces saloperies par quintaux en France…Eux, pendant ce temps, ils ont pas l’air de se rendre malade si ils sont en retard ou quoi, hein, c’est vrai…Au final. Hein ?
Rôôô, qu’ils sont mignons ces gosses. Ils sont bien là, à vivre dans la nature, au soleil…Rôô les ptits bouts de chou… »

Pensée intérieure : ne rien dire sur le maladies infectieuses et autres, facilement curables, qui déciment les marmailles nues du Sud; ne rien dire sur le couvre-feu de facto dès 18h…(on est pas à Cuba ici…).
"Des coups de feu ? ce matin ? nnnnnnnann, m’an, c’était des pétards pour Santo…Tu sais, leur Santo Machin là..San Marcos, voilà, le saint des …des panaderos/boulangers...du coin...les libano-portugais là, ils aiment beaucoup leurs saints et dès le matin, bah, ils font péter des « ben laden », ces gros pétards si communs par ici…Ok ? T’inquiètes pas…"

-Et toutes ces ados, avec un bébé au bras, elles s’occupent bien de leurs petits frères, hein… ? T’as vu ? Y’en a partout dans les rues…
-Oui maman, j’ai vu...oui oui, leur petit frère…On va dire… « petit frère »
-Et les hommes, sont où les hommes ? Tous les villages, quand même, c’est les femmes qui se tapent tout le boulot…A la maison, au travail, dans la rue…Zont l’air de picoler pas mal quand même les gars, pendant que ces pauvres dames triment…te leur foutrai des coups de pieds au cul moi, boudiou…
-Ah ça, maman, bonne question, bonne idée...bonne question…

La mama de l’expat, ta maman, elle aime bien, quand elle vient te voir, dans ton chez toi, là bas, si loin, si loin.

A suivre…

4 commentaires:

M a dit…

Je crois l'une des plus belle interprétation de ma chanson préférée pour accompagner cette mama qui a bien raison de parler à tout le pueblo sans complexe ! "privilège de la maturité" !

mcBouille a dit…

un tout beau crû

Robert a dit…

Ouais, les p'tits frangins dans les bras de pouliches de douze balais, c'est du Vételgeuse tout cru. J'adore! Continue, Joe... tout passe, tout casse, tout lasse, sauf ça.

Fanny Dumond a dit…

un bel hommage, je t'envoie aussi le mien pour la mienne de mère ! http://destinobuenosaires.blogspot.com/2009/05/la-mama.html
biz