mardi 28 juillet 2009

Le parc du Troisième Millénaire, refuge des Colombiens déplacés par la guerre

BOGOTA
Marie Delcas, Le Monde


Luis M. regarde ses mains noueuses, qui ont travaillé la terre pendant plus de quarante ans. "Je n'étais pas fait pour mendier", soupire-t-il. En 2007, il a quitté sa terre natale, dans l'ouest de la Colombie, menacé de mort par les milices paramilitaires. Depuis quatre mois, il campe avec sa femme et ses quatre enfants dans le centre de Bogota.

Avec 60 fils de dépêches thématiques, suivez l'information en continu
Abonnez-vous au Monde.fr : 6€ par mois + 30 jours offerts
Sur le même sujet
Un soldat colombien devant l'entrée d'un bunker des FARC, le 25 juillet 2009.
Les faits Bogota accuse le Venezuela d'avoir vendu des armes aux FARC
Edition abonnés Fiche pays : Colombie

Sa voisine Mariela était institutrice à Granada, dans le département du Meta, à l'autre bout du pays. Elle s'est amourachée d'un policier - qui l'a rapidement laissé tomber. Les guérilleros, eux, ne l'ont pas lâchée. "J'étais devenue une ennemie du peuple. Ils m'ont donné une heure pour quitter la ville", explique-t-elle. Mariela a passé sa première nuit à Bogota dans un self-service, avant d'être accueillie par de lointaines cousines, "pauvres mais généreuses". Elle s'étonne que "le gouvernement du (président) Alvaro Uribe trouve de l'argent pour faire la guerre, mais pas pour s'occuper des victimes".

Inauguré en 2005, le Parc du troisième millénaire avait été conçu comme l'épicentre d'un grand projet de rénovation urbaine au coeur de la capitale. Plus de 2 000 déplacés s'y entassent aujourd'hui, sous des bâches, des assemblages de planches et de cartons. "Nous sommes là pour protester contre la négligence du gouvernement qui nous a abandonnés à notre sort, affirme Janer Rodriguez, un des leaders du mouvement. Nous ne partirons pas avant d'avoir obtenu pour chacun d'entre nous un logement digne et un emploi."

Certaines familles ont apporté leurs matelas, d'autres dorment à même le sol. Riz et patates cuisent sur des feux de bois. Devant le point d'eau du parc, les gens font la queue pour se laver. "Nous recevons un peu d'aide des syndicats, des associations et des églises évangéliques", dit Janer. Depuis une semaine, le camp est entouré de barrières, surveillé par un cordon de policiers portant des masques. Un cas de grippe A (H1N1) aurait été détecté. "C'est faux, affirme Janer. Les autorités ont monté le coup pour nous prendre nos enfants. Hier encore, le département sanitaire de la mairie est venu chercher les femmes enceintes pour les loger dans un centre, mais elles ont refusé. Si nous laissons le mouvement se diviser, nous sommes foutus."

La gestion de la crise a tourné à l'affrontement entre la mairie de Bogota (gauche) et le gouvernement (droite). Selon les chiffres officiels, 50 familles déplacées arrivent chaque jour à Bogota, principal pôle d'attraction pour les victimes du conflit armé qui sévit depuis quarante ans dans les campagnes. "Les moyens de la mairie sont limités. Le gouvernement doit assumer ses responsabilités", dit Samuel Moreno, le maire de Bogota.

Chargée du dossier au sein du département national d'Action sociale, Emilia Casas juge "complètement irréalistes" les revendications de Janer et de ses camarades. "Des milliers de déplacés attendent un logement. Nous ne pouvons privilégier les protestataires. Ce serait injuste pour ceux qui respectent les formalités", explique-t-elle. Les déplacés du parc ont refusé les offres d'emplois proposées par la mairie.

"Les leaders du mouvement exigent 14 millions de pesos par foyer (5 000 euros) pour monter un projet productif, et refusent toute aide ou solution alternative", affirme Emilia Casas. Elle espère que la médiation du bureau local du haut-commissaire pour les réfugiés de l'ONU (UNHCR) - engagée vendredi 24 juillet - va permettre de débloquer la situation.

"Le drame du parc du Troisième Millénaire n'est que la pointe de l'iceberg", rappelle un fonctionnaire onusien. Il juge que le gouvernement colombien a laissé se développer "une situation explosive". Selon un récent rapport d'Amnesty International, la Colombie occupe le deuxième rang mondial en matière de déplacement de population, derrière le Soudan. De 3 millions à 4 millions de citoyens ont été forcés d'abandonner leur domicile depuis 1997, sous la pression des groupes armés - guérillas et paramilitaires - et de l'armée. Pour 2008, les chiffres officiels font état de 380 000 déplacements. La Cour constitutionnelle vient encore de dénoncer l'incurie du gouvernement sur ce dossier.

Marcelo Pollack, directeur du programme Amérique d'Amnesty, juge pour sa part que "la difficile situation humanitaire est un démenti au gouvernement colombien qui affirme que le conflit est fini".

1 commentaire:

Patxi a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.