lundi 5 février 2007

Quand Monsieur le Maire s'est fait pendre (la main dans le sac)


La maison de Monsieur le Maire


Il est de ces matins ou on ferait mieux d'aller à la pêche à la truite saumonnée (ce délicieux plat à déguster sur les bords du lac Titicaca).

Mais voilà. Don Benjamin Altamirano avait d'autre plans.
Cet indien aymara veut entendre des flagorneries, veut son petit bout de pouvoir local. Qu'on l'appelle "Senor Alcalde".
C'est décidé. Il se lancera un beau jour dans la campagne pour conquérir la Mairie d'Ayo Ayo, sous les couleurs de la Nouvelle Force républicaine (parti de "droite populiste", même si c'est une catégorie un peu inadaptée au contexte local).

Sa campagne fait un carton. Le thème: "Je lave plus blanc". J'erradiquerai pour toujours la "corruption de ces riches-blancs-exploiteurs-qui-spolient-et-humilient-les-populations-indigenas depuis-500-ans".
Dans un pays d'apartheid de facto (avant Evo) le plus pauvre du continent, de corruption endémique ou les métis et les blancs ont en effet souvent spolier à l'envie leurs administrés, l'argument démagogue est porteur.

Il se trouve que ce gros village bolivien Aymara, au nom si pittoresque (situé à 80 bornes de La Paz, à 4 000 m d'altitude), se trouve également à une cinquantaine de kilomètres d'Ilave, au Pérou, dont le maire, aymara lui aussi, Cirilo Robles, a également fait le même type de campagne, quelques mois plus tôt.

Don Benjamin, Don Cirilo, gagnent haut la main.
Don Benjamin, Don Cirilo gouvernent.
Don Benjamin, Don Cirilo, tapent dans les (maigres) caisses de leurs bourgs déja bien appauvris par des décennies de mauvaise gestion.
Et là, contrairement à l'impunité traditionnelle, aux quelques escarmouches de rigueur, à la relative "soumission légendaire" de l'Indigena...
Don Benjamin, Don Cirilo, se font pendre la main dans le sac par leurs administrés et conseillers municipaux.

Don Benjamin a été torturé, lynché et brûlé par la foule, qui l'accusait de corruption. Le corps calciné de Monsieur le maire a été découvert sur la place principale d'Ayo Ayo, un mardi de juin, attaché à un poteau, face au monument à Tupac Katari, un Indien qui s'est soulevé contre la couronne espagnole au XVIIIe siècle. Il avait été enlevé la veille à La Paz, après avoir été relaxé par la justice d'Etat pour le détournement de fonds publics pourtant avéré, évalué à quelques dizaines de milliers de dollars. Les policiers et les journalistes qui se sont rendus à Ayo Ayo ont été agressés par les habitants en colère.

Parfois, on comprend vite, quand faut pas faire chier.

Voilà pourquoi je me suis dépêché, quelques semaines plus tard, pour prendre la photo de ce qui reste de la maison, de la cour, de la camionnette de Mr Le Maire.

Don Cirilo a également été lynché par la population aymara, un lundi d'avril, pour des motifs similaires.


La camionnette de Mr Le Maire

Immédiatement, la parfois expéditive "justice communautaire", mais extrêmement plus complexe et équilibrée que ce qui peut sembler de prime abord, est mise en accusation dans le pays. La thème favori des médias privés: "les Indiens et leurs coutumes barbares; regardez donc ces sauvages". Alors que ce type de dérive hardcore est plutôt exceptionnel.

En l'occurrence, en Bolivie, deux types de justice coexistent. La justice ordinaire, qui "s’exerce" en théorie depuis l’époque républicaine, est écrite, normée et condamne à la prison. Malheureusement elle est assez pourrie. La justice communautaire correspond aux usages et coutumes des communautés indigènes et applique des châtiments moraux ou une forme de loi du talion.
Un violeur est par exemple condamné à l'exil définitif de la communauté, la pire des peines. Un voleur, à des coups de fouet etc...
Cependant, la peine de mort n’est pas une sanction possible ni acceptée socialement, ni dans la justice ordinaire, ni dans la justice communautaire, qui est par ailleurs reconnue par la Constitution depuis 1994.

Don Benjamin n'aurait pas du jouer sur la fibre de "l'honnêteté aymara" pour faire ses petites affaires. Mal lui en a pris. Ayo Ayo lui a fait payer, en déchainant une violence inouie. Faut pas trop les faire chier, les aymaras...

Deux réflexions m'ont assaillies après avoir pris le cliché photo et m'être enfui lâchement:
- Ro putaing, ils l'ont bien fumé le gars. Ils l'y'ont bien défoncé sa barraque.
- La barbarie la plus subite et imprévisible peut toujours surgir quand la sanction légitime d'un Etat de droit ne vient pas, une fois de plus, une fois de trop. Alors, l'exaspération pluri-séculaire du dominé peut se réveiller et tout dévaster sur son passage.

Voilà pourquoi il serait plus judicieux pour les Don Benjamin en puissance, dans des moments pareils, dans un pays d'apartheid comme la Bolivie:
-d'aller pêcher sa truite plutot que de jouer au con
-d'organiser des élections libres et de désigner des hommes à peu près droits, qui entre autres ne font pas que flatter la fibre ethnique. Et déboucher sur une issue politique, même si elle n'est qu'une soupape de décompression temporaire.

Bon, demain, manana, manana...

Un gars plus autorisé que moi sur la question, l’anthropologue Carlos Ostermann, dans La Razón commentait de la sorte: "La justice communautaire est une réponse à l’absence de confiance dans l’ordre établi. Par ailleurs, des phénomènes comme les migrations, la situation économique critique des paysans et l’influence des médias détruisent le noyau communautaire et engendrent sa désintégration. La justice communautaire permet de réaffirmer le contrôle social qu’exerce la communauté." Pour le représentant du Mouvement des paysans sans terre, Alejandro Valero, "ce qui s’est passé à Ayo Ayo était l’action commune de tout un peuple exténué, en colère contre un système judiciaire corrompu."

2 commentaires:

Unknown a dit…

La peine de mort n'existe theoriquement pas dans la justice communautaire ? Je me souviens d'une histoire que nous avait raconte qqun dont l'identite m'echappe, sur un village proche de Cochabamba je crois, et dans lequel le conseil du village (parents compris) avait decide d'enterrer vivant l'un des jeunes pour avoir multi recidive (des vols si je me souviens bien). Le village entier participant a l'operation pour eviter toute sanction de la justice republicaine. Tu t'en souviens ? Et tu penses que c'etait vrai ?
En tous cas pour eviter de se faire chopper apres le prochain lynchage, une suggestion experimentee en Malaisie par le dirigeant d'un influant think tank, sur la trop charmante personne d'une top modele mongole: la deflagration. Placez un explosif puissant dans le cadavre, enclenchez le detonnateur, eloingez vous pour eviter toute tache compromettante sur le costard, et pfff, come si de rien etait. Pourquoi detruire les preuves quand on peu tout simplement detruire le corps ?
Par contre, evitez de pointer si vous commettez le meutre a votre bureau en dehors de heures de travail, ca laisse des traces... Et puis faite pas ca sur LA star d'un pays qui par ailleurs en chie pas mal, c'est pas cool. C'est un peu comme si Paul Wolfowitz faisait exploser Leaticia Casta, il y aurait probablement un leger incident diplomatique...

Anonyme a dit…

Merci Mr Simon pour cette petite variante asiatique.
C est odieux.
Parfait.

Ah le petit saboteur...voyons voir:
Oui, 'en theorie', la peine de mort est bannie. je maintiens.Il y a toujours qq derives par ci par la.cette histoire est peut etre vraie, comme elle peut etre un instrument, un conte pour faire peur et dissuader. l'oralite des ces cultures oblige a creer des legendes, pour assurer l ordre communautaire et preserver l'integrite du groupe.
L'aymara est un etre foncierement collectif.c est fascinant, pour la solidarite, la reciprocite et le partage.c est flippant, pour le controle constant qui s'exerce, le respect de l'intime, les obligations permanentes.
dis comment il s 'est fait prendre le dirigeant malais assassin? A cause du pointage au bureau? Pas compris...
Patxi